RENCONTRES CINÉMATOGRAPHIQUES DE CANNES (DÉCEMBRE 2009) : CHRISTOPHER CAVALLO ET PAULINE FORGUE LAURÉATS DU STAGE "MOI, JEUNE CRITIQUE" - par Gérard Crespo (19/12/2009)
Lors du stage « Moi jeune critique » du 8 au 11 décembre 2009, sous la direction des journalistes Bernard Genin et Alain Bévérini, des lycéens ont rédigé des critiques des films visionnés durant la semaine des RCC. Voici les deux critiques qui ont permis à Christopher Cavallo et Pauline Forgues, en 1ère ES2/L au lycée Stanislas de Cannes, de remporter le premier prix ex-æquo de la catégorie Stage, "Moi, Jeune Critique", écrit, niveau 1re/Terminale.
Une Affaire de Goût, de Bernard Rapp
Avec Une affaire de goût, Bernard Rapp nous sert un « jeu » dangereux dans lequel Nicolas Riviére, jeune serveur plein de charisme mais sans grandes ambitions, deviendra le goûteur exclusif et généreusement rémunéré de Fréderic Delamont, excentrique industriel richissime aux exigences et bizarreries auxquelles le jeune homme devra impérativement se plier. Le film que l’on pourrait prendre au premier abord pour une comédie change vite de cap. En effet, les mises en garde de Béatrice, la petite amie de Nicolas, qui voit là un mauvais présage, s’avèrent exactes : peu à peu, obsession, fascination et perversion se mêlent au milieu du monde de la gastronomie et scellent le destin de ces deux hommes. Leur relation prend rapidement une tournure malsaine. Entre délices et mensonges, un miroir se place chaque jour un peu plus entre les deux complices ; Nicolas se perd petit à petit dépossédé de son identité. Inspiré du roman Affaire de goût de Philippe Balland, ce long métrage aux attaches littéraires et à l’atmosphère étrange visite le thème de la manipulation, par les sens et les saveurs, et nous fait entrer dans la psychologie de chaque personnage. Le jeu des comédiens est tout aussi surprenant puisque c’est Bernard Giraudeau (Frédéric Delamont) et Jean Pierre Lorit (Nicolas Riviére) qui interprètent avec brio les rôles de ce duo troublant ; le découpage très habile, reliant passé et présent avec équilibre, nous laisse percevoir une fin un brin prévisible mais qui n’entache en rien le crescendo de l’angoisse jusqu’à la dernière minute. Cet excellent thriller français, tragique et raffiné, bouscule les habitudes avec son scénario bien ficelé dans lequel paranoïa et psychose s’unissent à travers l’emprise d’un homme sur un autre. Une belle réussite !
Christopher Cavallo, 1ere L, Lycée Stanislas de Cannes
The Wrestler, de Darren Aronofsky
Au sein d’une Amérique violente et en pleine désillusion, survit avec difficulté un ancien catcheur autrefois adulé des foules. Le rêve américain, il l’a vécu, mais la gloire et le succès ont vite cédé la place à une lente descente aux enfers. Ce film, sombre mais poignant, suit les pas du personnage à travers une critique pessimiste de la vie : victime d’une crise cardiaque dont il réchappe miraculeusement, Randy, dit « Le Bélier », va essayer de renouer des liens avec sa fille, quand sa carrière de catcheur semble compromise. En plus de la complicité naissante et fragile qu’il entretient avec cette dernière, s’établit une autre liaison, plus subtile, entre le héros et une strip-teaseuse vieillissante. La symétrie de leur métier, l’un sous les projecteurs le temps d’un combat, l’autre le temps d’une danse, et de leur solitude, abandonnés tous les deux par les êtres qui leur sont chers, les rendent attachants, et apportent une touche d’espoir dans le morne tableau peint par le réalisateur, où Mickey Rourke se démène, en véritable titan déchu de son trône. Sous l’aspect d’un documentaire, les images nous font découvrir l’envers du décor et les coulisses du ring : les combats organisés, spectacles dont le seul but est de donner de l’adrénaline au public, ainsi que la vision d’une star fatiguée, marquée physiquement comme mentalement, par les coups qu’elle a encaissés tout au long de sa vie. En signant ce troisième film, Darren Aronofsky nous plonge dans une atmosphère réaliste et terrible ou se mêlent amour et désespoir, une éternelle étreinte de deux sentiments contradictoires et puissants. Le jeu des caméras, ne nous présentant le personnage principal qu’après de longues minutes d’attente ; celui des lumières éclatantes lors des scènes de combats, en opposition à la pénombre des scènes quotidiennes ; enfin celui des acteurs, entiers dans leur façon d’être et de peser, font de ce film un réel chef-d’œuvre dramatique. L’ensemble dégage une incroyable force de conviction, un combat impitoyable contre la mort.
Pauline Forgue, 1ES2, Lycée Stanislas de Cannes
LA SÉLECTION OFFICIELLE : COMMENTAIRES - par Gérard Crespo (28/04/2009)
La Sélection officielle en compétition
Cette année 2009 semble miser sur les valeurs sûres du cinéma international. À l'exception de Isabel Coixet, Andrea Arnold, Brillante Mendoza, Xavier Giannoli, Gaspar Noé et Jacques Audiard, tous les cinéastes en compétition sont des figures historiques de Cannes ou des personnalités prestigieuses (Ang Lee) abonnées aux récompenses internationales.
Des anciens lauréats des Palmes d'or tenteront le doublon que réussirent, en leur temps, Francis Ford Coppola, Emir Kusturica, Shohei Imamura, Bille August, ou les Frères Dardenne (Rosetta, L'Enfant), qui présenteront une "Leçon de Cinéma" le mardi 19 mai. Pourrait ainsi rejoindre le club des doublement palmés Jane Campion dont la carrière s'est quelque peu essoufflée depuis le triomphe de La Leçon de piano. Le vétéran Ken Loach, Palme d'or avec Le Vent se lève, se trouve en compétition face à Quentin Tarantino, l'enfant terrible du cinéma américain (et par ailleurs Président du Jury qui couronna Fahrenheit 9/11), à qui Clint Eastwood attribua la récompense suprême en 1994 pour Pulp Fiction.
Habitué de Cannes, Pedro Almodovar (qui glâna divers Prix du scénario ou de la mise en scène), trouvera peut-être la consécration. C'est sans compter la présence de deux des plus anciens réalisateurs de l'histoire du cinéma : Alain Resnais, révélé par la Nouvelle Vague dès la fin des années 50, a certes moins de prestige qu'à l'époque où il tournait L'Année dernière à Marienbad, Providence, Smoking/No smoking ou On connaît la chanson, mais son dernier opus marquera peut-être son grand retour ; Marco Bellochio, figure emblématique du cinéma italien de la contestation des années 60 et 70, a retrouvé tout son éclat dans les années 2000 après une longue traversée du désert.
Face à Michael Haneke, cinéaste culte dont chaque film est un micro-événement, et à Elia Suleiman, réalisateur palestinien qui est l'une des grandes révélations de cette décennie, des auteurs asiatiques en compétition confirment la vitalité de ce continent dans l'industrie et l'art du cinéma : Lou Ye, Park Chan-wook, Johnnie To et Tsai Ming-liang en sont les dignes représentants.
Sélection officielle hors compétition, séances spéciales et de minuit
Trois grands cinéastes monteront les marches hors compétition : l'Espagnol Alejandro Amenabar (Agora), le Malien Souleymane Cissé (Grand Prix en 1987 pour Yeelen) et auteur de Min Ye, ainsi que l'Anglais Terry Gilliam, dont on peut regretter qu'il arpente peu la Croisette, en dépit du succès de Monty Python, le sens de la vie, en 1983. Le cinéma d'animation sera représenté par Là-haut, la dernière production des studios Pixar projetée en ouverture. Michel Gondry, dont Human Nature fut sélectionné en 2001, a été choisi cette année pour un documentaire, L'Épine dans le cœur, tandis que Robert Guédiguian commémorera le génocide arménien dans L'Armée du crime et que Marina de Van (scénariste d'Ozon et auteure de Dans ma peau) représentera (avec Sam Raimi) le cinéma bis en séance de minuit. Signalons aussi le retour de Karen Yedaya, Caméra d'or en 2004 avec Or/Mon trésor et qui présentera son dernier film, Jaffa.
Un certain regard
Outre les révélations qui ne manqueront pas de se dévoiler, cette section accueille des cinéastes confirmés dont certains ont un passé cannois. Après Thérèse (Prix du Jury en 1986), et Le Filmeur, Alain Cavalier présentera Irène. Pavel Lounguine, auteur de Taxi Blues (Prix de la mise en scène en 1990) et La Noce, sera en lice avec Le Tsar, biopic d'Ivan le Terrible, un demi-siècle après Eisenstein. Deux révélations cannoises seront remarquées : Bahman Ghobadi, Caméra d'or pour Un temps pour l'ivresse des chevaux, présentera On ne sait rien des chats persans en Ouverture, tandis que Hirokazu Kore-eda (Nobody Knows, Sleep Walking), défendra Kuki Ningyo. Signalons enfin les présences de Denis Dercourt (Demain dès l'aube, après La Tourneuse de pages) et Mia Hansen-Love (Le Père de mes enfants, après Tout est pardonné).
La Quinzaine des réalisateurs
Contrairement à la Sélection officielle, les organisateurs ont plutôt joué la carte de la nouveauté. On attend cependant avec curiosité la projection de Tetro de Francis Ford Coppola, trente ans après la Palme d'or attribuée à Apocalypse Now. Le Coréen Hong Sang-soo, qui présenta à Cannes La Vierge mise à nu par ses prétendants ou La Femme est l'avenir de l'homme, montrera You Don't Even Know, tandis que l'austère Pedro Costa séduira quoi qu'il en soit sa cour d'admirateurs avec Ne change rien, coproduction franco-portugaise au titre certainement prédestiné.
La Semaine internationale de la critique
Spécialisée dans les premiers et seconds films, cette section est un laboratoire de recherche duquel sortiront de futurs grands noms du cinéma mondial. C'est ce qu'on ne peut que souhaiter à Alejandro Fernandez Almendras, Vladmir Perisic, Caroline Strubbe, Mathias Gokalp, Nassim Amaouche, Alvaro Brechner, Shahram Alidi ou Gabe Ibanez. Des cinéastes que côtoieront les jeunes lycéens sélectionnés pour former le jury de la ''Toute jeune critique''. Souhaitons à ces jeunes plumes de retrouver l'enthousiasme et le talent d'écriture d'Antoine Periot, Arthur Roig, Pauline Proffit, et bien d'autres !
Les jurés et leur passé cannois
Isabelle Huppert est la Présidente du Jury de la 62e Sélection officielle du Festival de Cannes. L'actrice française, déjà membre du Jury à Cannes en 1984, a obtenu deux prix d'interprétation : pour Violette Nozière en 1978 et pour La Pianiste en 1991. D'autres actrices ont déjà présidé le Festival de Cannes : Arletty en 1956, Michèle Morgan en 1971, Ingrid Bergman en 1973, Jeanne Moreau en 1975 et 1995, Isabelle Adjani en 1997 et Liv Ullmann (par ailleurs réalisatrice) en 2001. Gageons qu'Isabelle, à la filmographie exemplaire, saura apporter de la rigueur et de l'audace au Palmarès.
Quatre autres comédiennes sont présentes dans le Jury, et ont déjà entretenu des liens plus ou moins étroits avec le Festival. Asia Argento, actrice italienne (fille de Dario) a tourné avec Abel Ferrara (Go Go Tales), Gus Van Sant (Last Days), Bertrand Bonello (De la guerre) et Catherine Breillat (Une vieille maîtresse) ; la Taïwanaise Shu Qi, est l'égérie de Hou Hsia-hsien (Millenium Mambo) ; Robin Wright Penn donnait la réplique à son époux Sean Penn dans She's so Lovely, en 1997 ; quant à Sharmila Tagore, égérie de Bollywood et actrice fétiche de Satyajit Ray, elle avait présenté La Déesse en 1960.
Trois grands réalisateurs, révélés à Cannes, apporteront leur précieuse contribution : Nuri Bilge Ceylan est le meilleur cinéaste turc contemporain : Uzak obtint un double prix d'interprétation, Les Climats confirma son style et Les Trois singes remporta un prix de la mise en scène. James Gray est l'un des nouveaux auteurs culte du cinéma américain. Il repartit pourtant bredouille avec La Nuit nous appartient, superbe polar, et Two Lovers, poignant mélodrame. Lee Chang-dong est un maître du cinéma coréen, depuis Peppermint Candy et Oasis. Secret Sunshine obtint un Prix pour l'interprétation féminine. Signalons enfin la présence dans le Jury de l'écrivain Hanif Kureishi, qui fut le scénariste de My Son the Fanatic.
Le Jury d'Un certain regard est présidé par Paolo Sorrentino, qui en quelques années a su se faire un nom sur la Croisette : bien plus que Les Conséquences de l'amour ou L'Ami de la famille, c'est Il Divo qui lui a apporté la consécration internationale. Il sera aux côtés de Julie Gayet, Piers Handling, Uma Da Cunha et Marit Kapla.
Le Jury de la Cinéfondation et des courts métrages est présidé par le réalisateur John Boorman, prodigieux cinéaste visionnaire à qui l'on doit Délivrance et Le Général. Il sera assisté par les réalisateurs Bertrand Bonello (Le Pornographe, De la guerre) et Ferid Boughedir et par les actrices Leonor Silveira (Val Abraham) et Zhang Ziyi (Le Secret des poignards volants, 2046).
Le comédien et réalisateur Roschdy Zem présidera le Jury de la Caméra d'or, qui désignera le meilleur premier film, toutes sections confondues. Roscchy Zem avait été l'interprète de N'oublie pas que tu vas mourir, L'Autre côté de la mer, À vendre, Louise (Take 2), Indigènes (Prix d'interprétation) et La Californie. Siègeront avec lui Diane Baratier, Olivier Chiavassa, Sandrine Ray, Charles Tesson et Edouard Waintrop.
Le Pavillon Les Cinémas du Monde est placé sous la parrainage de Juliette Binoche et Abderrhamane Sissako. L'actrice française, révélée en 1985 par Rendez-vous, avait été remarquée à Cannes dans les films de Michael Haneke Code inconnu et Caché, mais aussi dans Le Voyage du ballon rouge. Le cinéaste africain, révélé à la Quinzaine des Réalisateurs par La Vie sur terre, connaîtra la consécration internationale avec Bamako.
Enfin, La Sélection Cannes Classics est placée sous la présidence d'honneur de Martin Scorsese, qui obtint la Palme d'or en 1976 avec Taxi Driver. Cette section désormais incontournable, qui permit l'an passé de découvrir en avant-première mondiale la copie restaurée de Lola Montès, propose les films suivants :
Accident de Joseph Losey (1967- Grande-Bretagne) - version restaurée
L'Avventura de Michelangelo Antonioni (1960- Italie) - copie neuve
A Brighter Summer Day de Edward Yang (1991- Taiwan) - version longue
Ces messieurs dames (Signore et signori) de Pietro Germi (1966- Italie) - version restaurée
Les Chaussons rouges (The Red Shoes) de Michael Powell (1948- Grande-Bretagne) - version restaurée
Dieu ne croit plus en nous (Ans uns glaubt Gott nicht mehr) de Axel Corti (1982- Autriche) - version restaurée
Don Giovanni de Joseph Losey (1979- Italie) - copie neuve
L'Enfer d'Henri-Georges Clouzot (2009- France) - de Serge Bromberg, Ruxandrea Medrea
Il était une fois... la révolution (Giu la Testa) de Sergio Leone (1971- Italie) - version restaurée
Loin du Vietnam de Jean-Luc Godard, Joris Ivens, Claude Lelouch, William Klein, Chris Marker, Alain Resnais, Agnès Varda (1967- France)
La Momie (Al-Momia) de Shadi Abdel Salam (1969- Egypte)
Pierrot le Fou de Jean-Luc Godard (1965- France) - version restaurée
Prince Yeonsan de Shing Sang-ok (Corée, 1961) - version restaurée
Redes de Emilio Gomez Muriel et Fred Zinnemann (1936- Mexique)
Réveil dans la terreur (Wake in Fright) de Ted Kotcheff (1971- Australie)
Senso de Luchino Visconti (1954- Italie) - version restaurée
Traitre sur commande (The Molly Maguires) de Martin Ritt (1970- Etats-Unis) - version restaurée
Victime (Victim) de Basil Dearden (1961- Grande-Bretagne) - copie neuve
Les Yeux sans visage de Georges Franju (1960- France) - version restaurée
Il faut ajouter à cette programmation deux documentaires sur le cinéma : Les Deux de la vague de Antoine de Baecque et Emmanuel Laurent et Pietro Germi, il bravo, il bello, il cattivo de Giuseppe Rotunno.
Bon Festival !
Gérard Crespo
EN ATTENDANT CANNES 2009 : COMMENTAIRES, par Jean-Baptiste Doulcet (27/04/2009)
Cannes 2009 : la valse des grands noms
Commenter des films avant de les visionner n'est pas un exercice aisé, tant on est influencé par nos représentations et le passé des cinéastes, et tant nous ne pouvons, à l'avance, préjuger de la réussite des films. Pronostiquer a priori la présence d'un réalisateur à un palmarès n'est pas non plus une tâche facile. Nous nous y risquerons toutefois, avec maintes précautions et sous certaines hypothèses...
Cannes, 62e... Le Festival des paillettes et des stars accueille cette année, pour la sélection en compétition, un lot de réalisateurs primés dans le monde, déjà reconnus pour la plupart, et presque tous habitués à la Croisette. Une sélection qui ressemble d'ores et déjà à "Qui est le meilleur réalisateur du monde?" tant les grands noms y affluent. On notera la présence de trois femmes derrière la caméra, seulement deux films américains, une pléiade de films asiatiques (mais toujours pas de cinéma africain...), et quatre films français d'envergure.
PEDRO ALMODOVAR : Étreintes brisées
C'est après une masse de films présentés en Compétition et tous adorés par le public et la critique internationale que l'un des plus grands cinéastes espagnols (pour ne pas dire le plus grand), aborde à nouveau sérieusement Cannes, après avoir loupé les Palme(s) d'Or qu'il a pourtant toujours méritées. Souvenons-nous de Tout sur ma mère, Volver, voire de La Mauvaise éducation. On peut parier sur son grand nom pour une Palme d'Or ibère ; depuis le temps, cette année pourrait enfin être la bonne pour remporter le pactole.
ANDREA ARNOLD : Fish Tank
Petite nouvelle prometteuse dans le cinéma anglais, Andrea Arnold avait impressionné la Croisette il y a trois ans avec Red Road, formidable récit de deuil d'une indéniable puissance formelle. Et si Fish Tank n'a que très peu de chance de remporter la Palme (à moins qu'il s'agisse d'un coup de maître, comme son premier film !), les acteurs pourraient créer la surprise : Michael Fassbender, remarqué pour son interprétation ahurissante dans Hunger, vu l'année dernière en section parallèle à Cannes - et lauréat de la Caméra d'Or - , et Kierston Wareing, révélée dans le dernier Ken Loach en date. Ken Loach à qui Andrea Arnold devra donc un grand merci si son actrice remporte le Prix d'interprétation ! À noter que cette jeune pousse de la réalisation britannique concourra donc pour la deuxième fois au côté dudit maître Loach, après que le cru 2006 ait opposé Red Road au Vent se lève...
JACQUES AUDIARD : Un prophète
La dernière Palme d'Or française remonte à... il y a un an. Une deuxième Palme d'affilée donnerait au festival des relans patriotiques pas forcément très appréciés là où la sélection a justement choisi un certain nombre de films asiatiques. Mais le cinéma de grande qualité qu'a créé Audiard auparavant (Sur mes lèvres, De battre mon cœur s'est arrêté) laisse envisageable une belle récompense (mise en scène, ou Grand Prix). Wait and see...
MARCO BELLOCHIO : Vincere
Adulé par Cannes, le réalisateur italien qui fit couler beaucoup d'encre avec Le Diable au corps revient ici avec l'Histoire, les secrets, et signe une fresque anti-populaire qui compte bien remettre en jeu les notions abstraites de ''reconstitution'' . Marco Bellochio retrouvera-t-il l'inspiration du Saut dans le vide, du Sourire de ma mère, et du Metteur en scène de mariages ? Son dernier film, si l'on suit la logique de Cannes 2008, et sous réserve de réussite, pourrait être un sérieux prétendant à la Palme d'Or, l'Italie étant, avec Gomorra et Il Divo, au plus haut des colonnes et des paris cinématographiques.
JANE CAMPION : Bright Star
Bright Star a l'allure d'un nouveau grand film de l'incroyable Jane Campion, déjà palmée pour La Leçon de piano en 1993. Une histoire d'amour comme elle seule sait les conter, un drame historique au casting so english prometteur...
ISABEL COIXET : Map of the Sounds of Tokyo
Première sélection à Cannes pour la réalisatrice espagnole auteure des très beaux Ma Vie sans moi et La Vie secrète des mots. Un thriller dramatique qui s'annonce mystérieux (autant par son titre que son casting et son synopsis). Alors que son précédent film, Elegy, aurait pu paraître à Cannes à la place de ce Map of the sounds of Tokyo, les distributeurs ont décidé de ne pas le sortir en salles. Un sort cruel qui, espérons-le, ne sera pas celui de ce film au synopsis pour le moins intriguant...
XAVIER GIANNOLI : À l'origine
L'un de nos jeunes-grands réalisateurs français revient en Compétition après le splendide Quand j'étais chanteur pour une autre histoire d'amour pas comme les autres. À défaut d'une Palme (la France a déjà été récompensée l'année dernière), le film pourrait parier au moins sur un Prix du Jury révélant ainsi un cinéaste doué aux yeux d'un certain nombre. François Cluzet pourrait aussi être l'un des prétendants au Prix d'interprétation masculine.
MICHAEL HANEKE : Le Ruban blanc
Réalisateur controversé, auteur des terribles Funny Games et La Pianiste, l'Autrichien s'attaque au nazisme dans un film en N&B, susceptible d'en bouleverser et d'en terrasser plus d'un. Car tout le monde connaît le cinéma extrême (et d'une grande qualité) de Michael Haneke (Grand Prix et double prix d'interprétation en 2001 pour La Pianiste, Prix de la mise en scène en 2005 pour Caché). Pourtant, ce dernier ayant offert à Isabelle Huppert l'un de ses plus beaux rôles dans La Pianiste, présenté en compétition en 2001 (pour lequel l'actrice reçut le Prix d'interprétation féminine donc), il paraît délicat pour celle-ci de récompenser ce qui pourrait s'apparenter à un copinage. Auquel cas celui-ci serait pointé du doigt. Mais on ne sait jamais, d'autant que Le Ruban blanc fait preuve d'un mystère potentiellement alléchant, intriguant, fascinant.
ANG LEE : Taking Woodstock
Ang Lee est très fort ; deux Ours d'or à Berlin (Garçon d'honneur, Raison et sentiments), deux Lions d'or à Venise (Le Secret de Brokeback Mountain, Lust Caution), Un Oscar du meilleur film et du meilleur réalisateur (Tigre & Dragon), un Golden Globe du meilleur film (Raison et sentiments)... il ne manque, évidemment, qu'une Palme d'Or. Mais ce récit de libération sexuelle et de rébellion soixante-huitarde a-t-il d'assez forts arguments face aux mastodontes de la compétition ?
KEN LOACH : Looking for Eric
Déjà palmé et reconnu pour sa carrière, Ken Loach fait son retour dans une comédie dont on verra si elle est plus qu'un opus mineur. Du moins, rien qui n'ait vraiment l'envergure d'une précieuse récompense... reste à voir si le cinéaste britannique sait encore étonner... Rappelons que Loach est tout de même l'auteur de Kes, Raining Stones, Land and Freedom, My Name is Joe ou Sweet Sixteen.
LOU YE : Nuit d'ivresse printanière
Sélectionné en 2003 dans la section officelle avec Purple Butterfly, et revenu à Cannes en 2006 pour Palais d'été (Une jeunesse chinoise en vf), Lou Ye est un cinéaste chinois emprisonné par le système de son pays, qui interdit pratiquement la projection de tous ses films en salles. Suivi d'une réputation sulfureuse, ce nouvel opus s'annoncerait plus érotique encore que le déjà débridé Palais d'été. La France n'ayant pas peur de la censure, et notre présidente du jury aimant les films de chair, cette histoire d'amour et d'obsession, sous réserve de réussite, pourrait avoir sa place au palmarès.
BRILLANTE MENDOZA : Kinatay
Si l'on ne sait rien pour l'instant de ce film, l'insistance avec laquelle Cannes invite Mendoza (déjà présent l'année passée avec Serbis, faux-film provoc mais vrai cinéma vital et social) pourrait aboutir à une récompense (le Prix du Jury paraît plausible). Mais serait-ce cette fois le film-choc de Mendoza que l'on nous promet depuis si longtemps ? Venu de la publicité, le cinéaste philippin a pris l'habitude de partager spectateurs et critiques (à l'exception du consensuel Foster Child/John John) et tourne à la vitesse de l'éclair ; en plus de Kinatay, deux autres de ses films sont prêts à sortir en salles, si la distribution européenne lui sourit.
GASPAR NOÉ : Soudain le vide
Il y en a qui adorent, d'autres qui détestent ; on ne peut en tout cas pas rester de marbre face au cinéma de Gaspar Noé, qui n'a pas fini de choquer et d'électriser (Cannes tremble encore de son Irréversible). L'auteur de Seul contre tous semble effectivement ne pas lâcher l'affaire du chaos cinématographique, du mouvement incontrôlable. Jusqu'aux dernières nouvelles, le festival de Cannes (à comprendre la critique, les festivaliers et le jury), n'aime pas ça. Mais l'originalité du thème pourrait séduire, la maîtrise de la mise en scène aussi (à prévoir, un prix de la mise en scène, contre toutes attentes). Ceci dit, les chances sont fortes pour que le trip de Noé tourne plus à la bouillie indigeste d'images et de sons à la durée excessive (2h30), qu'au chef-d'œuvre formel. Le choix d'acteurs quasi-inconnus pour la plupart est à surveiller de près cependant.
PARK CHAN-WOOK : Thirst, ceci est mon sang
On imaginait difficilement un film fantastique récompensé au festival de Cannes pour le moment ; mais Park Chan-wook n'est pas n'importe qui dans le cinéma sud-coréen (qui ne se souvient pas d'Old Boy, Grand Prix au festival de Cannes 2004 ?), et de plus, les premières images nous promettent un grand thriller dramatique sur fond de religion, de sexe, et de vampires, à la mise en scène plus qu'inspirée. Ce qui nous laisse donc imaginer un éventuel Prix...
ALAIN RESNAIS : Les Herbes folles
À titre mystérieux, synopsis mystérieux. Aujourd'hui chantre d'un cinéma théâtral parodiant tant le vaudeville que le mélodrame, Resnais convoque une fois de plus des étincelles du cinéma français (Devos, Vuillermoz, Amalric, Dussollier...) et rempile pour décrocher une Palme d'Or qu'il n'a jamais eue. Sachant que le cinéaste a commencé sa carrière en 1959 (Hiroshima mon amour), on peut prévoir une éventuelle récompense pour l'ensemble de la carrière de ce réalisateur qui obtint le Grand Prix en 1980 avec Mon oncle d'Amérique.
ELIA SULEIMAN : Le Temps qu'il reste
Après avoir charmé Cannes en 2002 avec Intervention divine (Prix du Jury), Elia Suleiman explore une nouvelle fois avec ce troisième long-métrage l'identité palestinienne, avec l'humour et la fantaisie qui le caractérise. Une sorte de Tati palestinien qui, entre rires et larmes, pourrait bien (re)créer la surprise cette année lors du palmarès.
QUENTIN TARANTINO : Inglorious Basterds
Sauf si Isabelle Huppert est une femme remarquable, non vindicative et d'une très bonne foi, Tarantino ne devrait même pas prendre la peine de faire le déplaçement jusqu'à Cannes, vu les déconvenues que les deux ont eues (première version ; Huppert ayant littéralement été virée du tournage de cet Inglourious Basterds dans lequel elle devait initialement jouer, faute de présence et de diplomatie, ou, seconde version, Huppert ayant quitté le plateau, ne pouvant plus supporter Q.T.). Bref, on aurait aimé que tout cela soit sans rancunes, mais malheureusement, malgré tout l'espoir que l'on met sur le déjà-palmé-par-le-génialissime-Pulp Fiction, les chances d'accès au Palmarès sont minces, voire inexistantes. Ce qui n'empêche que le film a l'air très bon ! Et c'est l'essentiel. Tarantino était déjà présent à Cannes en 2007 avec Boulevard de la mort.
JOHNNIE TO : Vengeance
Avec un tel casting, un tel titre et une telle promotion, le nouveau Johnnie To est-il plus proche du grand cru ou du nanar ? Si la deuxième hypothèse semble à priori l'emporter, tout le monde connaît le talent de Johnnie To, ses mises en scènes exubérantes et son style visuel inégalable. N'oublions pas les fulgurances de Election ou Breaking News. En bref, Vengeance sera peut-être le film qui passe ou qui casse... mais qui, en tout cas, pour le moment, paraît un petit peu déplacé pour la course à la Palme d'Or.
TSAI MING-LIANG : Visage
Un film dans le film qui s'annonce comme un admirable et passionnant archétype de la collaboration artistique entre l'Asie et la France. Un incroyable casting d'où rayonnent les plus grandes légendes françaises (Jean-Pierre Léaud, Mathieu Amalric ou encore Jeanne Moreau). La teneur sulfureuse et intellectuelle des récits de l'auteur de Et là-bas quelle heure est-il ? séduira-t-elle un jury présidé par Isabelle Huppert ?
Jean-Baptiste Doulcet
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