Demain dès l'aube |
Bon appétit, messieurs ! Passionné de musique classique, Denis Dercourt avait abordé ce thème dans l'aimable Les Cachetonneurs mais c'est surtout avec La Tourneuse de pages que l'incursion avait donné lieu à une inspiration sans failles : un suspense psychologique autour des relations équivoques entre une pianiste de renom et sa protégée avait fait du cinéaste le digne héritier du Claude Miller des grands jours. Demain dès l'aube est un cran au-dessous et la musique apparaît en filigrane seulement, à travers le personnage de Paul, pianiste réputé décidant de s'installer quelques temps chez sa mère malade (Françoise Lebrun, trente-six ans après La Maman et la putain) et de surveiller son jeune frère Mathieu (Jérémie Renier), au comportement pour le moins mystérieux. Celui-ci est un adepte du jeu de rôles, loisir qu'il partage avec une bande d'allumés qu'il ne côtoie jamais en dehors de troublantes cérémonies et rituels insolites. Mathieu invite Paul à plusieurs réunions les projetant à l'époque napoléonienne. Mais ce qui s'apparente à un jeu élégant et à un second degré de bal costumé glisse progressivement vers des sentiers plus déviants... |
Le télescopage entre les deux époques suscite un vertige surprenant, comme si le film à costumes français (tendance Breillat et Mazuy plus que Jean-Marie Poiré) croisait les sentiers d'un certain cinéma à la fois psychologique et naturaliste : le passage de l'univers guindé d'un dîner officiel entre officiers au XIXe siècle à celui (actuel) des usines, hôpitaux et petits pavillons de banlieue crée ainsi un contraste saisissant, surtout lorsque le « médecin » du régiment napoléonien (Gérald Laroche) s'avère être, au détour d'un couloir de clinique, un aide-soignant peu avenant. En fait, le film vaut essentiellement par son atmosphère troublante, les silences éloquents de certains personnages, et ce ton déroutant risquant à chaque séquence de faire glisser le récit du réalisme vers le fantastique. D'aucuns y verront aussi une satire des sectes, ou même de maints « clubs fermés », recréant, délibérément ou non, un état d'esprit aux marges du rationnel et de la raison... Reste que le scénario tient sur un mouchoir de poche et que la démonstration est un brin voyante. Moins roublard que La Vague (Denis Gansel, 2008), qui sur un sujet guère si éloigné sombrait dans le Grand-Guignol, Demain dès l'aube manque d'aspérités et de véritable vision de cinéaste. Gérard Crespo
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1h36 - France - Scénario : Denis DERCOURT, Jacques SOTTY - Interprétation : Vincent PEREZ, Jérémie RENIER, Aurélien RECOING, Anne MARIVIN, Gérald LAROCHE. |