Le Temps qu'il reste
The Time That Remains

de Elia Suleiman
Sélection officielle


Sortie en salle : 12 août 2009




Le silence en partage

Cinéaste rare, puisque sept années se sont écoulées depuis Intervention divine, Elia Suleiman se souvient et opte ici plus franchement encore pour l’autobiographie, élargie à la vie de son père, lequel post-mortem devient le co-scénariste de ce Temps qui reste dont on ne peut que déplorer l’absence au palmarès. Trop vrai, trop honnête, trop simple sans doute.

Pour les non initiés à l’ethnographie israélo-palestinienne, le dossier de presse rappelle la coexistence de trois groupes : les Palestiniens des territoires occupés s’élèvent environ à 3,5 millions, les réfugiés apatrides plus difficilement quantifiables sont estimés à plusieurs millions, enfin les Arabes-Israéliens comptent 1,3 million de Palestiniens qui vivent en Israël et ont pu en acquérir la nationalité, coreligionnaires de quelque 150 000 “absents-présents” auxquels les autorités refusent cette même nationalité.

Les Suleiman font partie de ces Arabes-Israéliens, minoritaires en leur pays, et Elia raconte le quotidien des siens et de ceux de ce quartier de Nazareth : soixante ans d’instants de vies dont soixante ans de conflit sont parvenus à venir à bout de l’espoir.

D’une construction chronologique rigoureuse, le récit se découpe en quatre époque : celle de la chute de Nazareth en 1948, celle de la mort de Nasser en 1970 alors qu’Elia a dix ans, celle de la fin des illusions, puis celle du silence.

Les deux premières nous mettent en présence du père d’Elia, Fuad Suleiman (Saleh Bakri, dont le visage terzieffien est confondant d’expressivité). Résistant intrépide ou spectateur impuissant de la perte de son pays, de l’exil des siens et de son propre étiolement, Fuad incarne ce que vivre debout veut dire. Tandis qu’Elia se construit, bercé tant par l’anti-américanisme ambiant que les rêves d’Hollywood, préservé par la tendresse de ses parents ou plongé dans la violence de l’arrestation de son père. Jusqu’au jour d’aujourd’hui où il revient en visite chez une mère sans mémoire tout entière tournée vers l’intérieur d’où s’égrène la jolie petite musique, seule rescapée de son souvenir.

Si l’optimisme n’est plus de mise, Suleiman n’en perd pas pour autant son sens de l’humour, mettant en scènes récurrentes et pathétiques le vieux voisin qui « question de logique » ne voit plus d’autre issue que de s’immoler par le feu, ou encore laissant au vendeur à la criée des journaux La Patrie et Tous les Arabes voulant liquider son stock, le soin de résumer le plus simplement du monde la situation : « Y’a plus dPatrie, Tous les Arabes pour rien ! »

Chaque plan bénéficie d’une composition minutieuse et d’une lumière intense, particulièrement lors de ces instants de silence qualifié par Suleiman de « cinégénique » qu’il propose comme « un moment de partage, d’échange », un « privilège donné au spectateur de mettre ce silence en mots, de prendre part à la création de l’image. »

De la douce-amère intervention divine du check-point de Ramallah ne subsiste que l’amertume du temps qui reste qui à présent. « Où suis-je ? » questionne le Buster Keaton palestinien, devenu clown de nulle part et définitivement triste.

Marie-Jo Astic


1h45 - Palestine - Scénario : Elia SULEIMAN - Interprétation : Salek BAKRI, Elia SULEIMAN, Ali SULIMAN, Amer HLEHEL, Menashe NOY, Nati RAVITZ.

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