Vincere
de Marco Bellocchio
Sélection officielle
palme

Sortie en salle : 25 novembre 2009




Nos pires années...

Avec Vincere, Marco Bellocchio signe un film classique, loin des passionnants Sourires de ma mère ou Buongiorno notte, à la construction plus audacieuse et au propos plus riche, mais il confirme son talent de conteur que l'on avait cru voir disparaître dans les années 80 et 90 (Le remake du Diable au corps...). Loin des interrogations existentielles du Metteur en scène de mariages, Vincere suit une linéarité narrative en évoquant la destinée tragique de Ida Dalser (éblouissante Giovanna Mezzogiorno, qui aurait mérité un prix d'interprétation), concubine de Benito Mussollini, avec qui elle eut un enfant avant de découvrir qu'il avait déjà une épouse légitime. Pour l'aider à financer le Popolo d'Italia, point de départ du futur parti fasciste, cette jeune femme issue de la bourgeoisie vend tous ses biens. La montée au pouvoir du Duce et l'éclatement de la guerre entraînent une dissolution de leurs liens. Revendiquant sans cesse son statut de conjointe officielle et de mère du fils aîné du dictateur, Ida sera internée sous l'ordre de Mussollini. La suite de son existence sera une lente agonie...

Dans sa première partie, le film peine à trouver son véritable rythme et souffre des aléas de la grande production historique à costumes, avec son passage obligé de dates clefs, d'anecdotes conjugales, de raccourcis politiques et religieux (l'athéisme supposé du Duce, mettant Dieu au défi lors d'un meeting) et de séquences d'actualités d'époque censées surligner la véracité des faits, évidemment basés "sur une histoire vraie" (refrain connu...). Dans ce registre, le film s'apparente à un feuilleton télévisé de qualité ; mais pour un panorama lyrique et historique de la montée du fascisme italien, on preférera le souvenir des flamboyants Conformiste (1970) et Novecento (1976) de Bertolucci.

La seconde partie est d'un plus haut niveau, qui narre la déchéance de Ida et son obstination à aller jusqu'au bout de son combat. Sa détresse peut ici faire écho à celle de Anouk Aimée dans Le Saut dans le vide (1980), poignant huis clos d'un déchirement fraternel. Mais le film dépasse la radioscopie psychologique et se veut moins étude de cas : l'hypocrisie du système est ainsi bien cernée, un jeune psychiatre bienveillant lui conseillant même de simuler ses sentiments et de jouer le rôle que la société attend d'elle, à savoir celui d'une femme pieuse et soumise ne cherchant aucunement à braver les pouvoirs en place. Par ailleurs, ce volet du film est admirable dans sa peinture des méthodes psychiatriques associées à une forme de répression sociale : Les séquences montrant l'internement (femmes folles ou prétendues telles attachées nues sur leur lit, inutiles escalades de la haute grille de l'asile pour envoyer des lettres à la presse, au roi, ou au Vatican), excellent à saisir l'écrasement physique et moral de tout opposant au totalitarisme. Plus qu'à Marco Tullio Giordana qui avait déjà donné une excellente peinture des abus psychiatriques dans Nos meilleures années (le récit se déroulait pourtant bien après le fascisme), Bellocchio fait ici songer au Fuller de Shock Corridor ou au Forman de Vol au-dessus d'un nid de coucou dans son aptitude à rendre compte de la frontière perméable entre étiquetage de la folie et véritable perte de raison, quel que soit le degré de démocratisation d'un pays. Vincere dépasse dans cette optique le cadre du simple film politique et historique pour atteindre l'universel.

Gérard Crespo


2h08 - Italie - Scénario : Marco BELLOCCHIO, Daniela CESELLI- Interprétation : Giovanna MEZZOGIORNO, Filippo TIMI, Corrado INVERNIZZI, Michela CESCON, Matteo MUSSONI.

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