Étreintes brisées |
Le secret magnifique Le film dans le film Comme dans La Mauvaise éducation, il est question de « film dans le film ». À la suite d'un accident de voiture, le cinéaste Harry Caine, ex-Mateo Blanco (Lluis Homar) est devenu aveugle et ne vit que grâce aux scénarios qu'il écrit en collaboration avec Judit (Blanca Portillo), son ancienne et fidèle directrice de production. Quatorze ans auparavant, il terminait le tournage d'un film médiocre (remonté de façon malveillante et contre son gré), dans lequel il faisait tourner Lena, la femme de sa vie (Penélope Cruz), morte quelques temps après dans l'accident... Les flash-back permettent de reconstituer le puzzle du mélodrame sentimental et de l'échec artistique et public du film, sans les excès de mise en abyme qui cassaient l'émotion dans La Mauvaise éducation. La référence à Voyage en Italie (que Lena et Mateo regardent à la télévision) permet d'annoncer le drame à venir des amants, leur étreinte interrompue par la mort étant fixée à jamais par le photographe espion. Dans Tout sur ma mère, les images récurrentes de All about Eve éclairaient également les sentiments enfouis des protagonistes, dont la jalousie féminine. Et si Almodóvar n'hésite pas à citer implicitement Femmes au bord de la crise de nerfs, c'est moins par nombrilisme que par désir de boucler la boucle thématique et stylistique de son univers. L'amour à mort Depuis les années 90, le cinéma d' Almodóvar a pris une teinte plus sombre. Le thème de l'accident, qui débouche sur le handicap (Javier Bardem dans En chair et en os) ou la mort (l'adolescent de Tout sur ma mère), prend ici tout son sens, puisque la fièvre créatrice de Harry ex-Mateo est anéantie, l'ancien réalisateur se contentant de projets mercantiles, à l'instar de l'écrivain incarné par Marisa Paredes dans La Fleur de mon secret. Harry ne retrouvera l'inspiration qu'au prix de la résurrection virtuelle de Lena, au même titre que Scottie cherchait à recréer l'image de Madeleine dans Vertigo de Hitchcock. Jamais le thème de la fusion de la vie, de l'amour et de la mort, n'avait été autant présent. C'est au nom de l'amour de son fils malade et de sa jalousie amoureuse que Judit trahit Mateo et remonte le film, à la demande du vieux producteur lui-même éconduit sur le plan sentimental. C'est pour sauver son père cancéreux que Lena accepte la compromission de sa cohabitation avec Ernesto, et c'est par amour pour Mateo qu'elle accepte la fuite (tragique) à Lanzarote. Femmes (et familles), je vous aime... Harry ex-Mateo se reconstitue une famille adoptive, en compagnie de Judit, qui fut brièvement sa maîtresse, et du fils ce cette dernière, Diego, qui l'assiste dans ses tâches administratives et domestiques. Dans ce semblant de famille recomposée, les relations affectives semblent plus sincères et profondes que dans la relation tendue qui unit Ray X, le jeune cinéaste frustré, à son père, autoritaire et homophobe. Comme dans Volver, l'homme n'a pas le beau rôle et s'avère être soit le symbole de lâcheté (Ernesto et son fils), soit l'expression du refus d'assumer un passé douloureux (Harry). Seul Diego semble l'élément masculin positif par son rôle de catalyseur de la reconstitution affective et créative du réalisateur. En dépit de son arrivisme, Lena est le symbole de la femme noble et honnête, à la fois tentatrice et salvatrice, qui a forcément les traits d'une Penélope Cruz désormais ancrée dans l'univers de Pedro. Quant à Judit, elle a la mère almodovarienne par excellence, à qui Blanca Portillo apporte toute sa puissance d'interprétation. Si Truffaut était « l'homme qui aimait les femmes », Almodóvar est celui qui les vénère. Et ce n'est pas pour rien que le cinéaste a confié de brèves apparitions nostalgiques à Angela Molina (la mère de Lena), Rossy de Palma (Julieta), Chus Lampreave (la concierge) ou Lola Dueñas (la lectrice sur les lèvres).
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Le secret magnifique Fils (cinématographique) naturel de Sirk, Pedro Almodóvar n'a jamais caché son intention d'assumer ouvertement le mélodrame, même si Étreintes brisées est davantage en demi-teinte que Talons aiguilles ou Tout sur ma mère. Le thème du secret de famille (au moins deux ici) est en tout cas prétexte à de beaux moments d'émotion pure, plus que de pirouette de scénario. Fausses trahisons ou enfants retrouvés lors de confessions intimes permettent moins le happy end qu'une sérénité provisoire et fragile chez les personnages. D'aucuns regretteront l'absence de figures excentriques (travestis, prostituées bouffonnes, grands-mères pittoresques, junkies défoncés) qui formaient une faune mémorable dans des titres antérieurs, et constituaient parfois un contre-pied à la noirceur ambiante. Étreintes brisées n'en reste pas moins fidèle à l'univers de son auteur, qui trouve ici la perfection dépouillée de Parle avec elle. Gérard Crespo Maxime Antoine |
2h09 - Espagne - Scénario : Pedro ALMODOVAR - Interprétation : Penélope CRUZ, Blanca PORTILLO, Lluis HOMAR, Lola DUENAS, Angela MOLINA. |