Last Days
Gus Van Sant
Sélection officielle
content

Avec Gerry (2002) et Elephant (Palme d’or 2003), Last Days forme un triptyque tant dans le propos (chronique de morts annoncées en milieu adolescent) que dans la mise en scène (le style épuré de Van Sant trouve ici son apothéose). Michael Pitt (Bully, Dreamers) incarne Blake, un artiste introverti retiré dans un coin perdu, en compagnie d’amis vivant à ses crochets.
Le film se veut (très) librement inspiré des derniers jours de Kurt Cobain, leader du groupe Nirvana et icône du mouvement grunge au début des années 90. Mais il ne s’agit pas d’un biopic et nous ne connaîtrons rien des motivations psychologiques qui ont poussé le jeune rocker au suicide.
Des œuvres aussi diverses que The Rose (sur Janis Joplin) ou Les Doors n’ont ainsi que peu de parenté avec ce récit. « La source d’inspiration de Last Days n’est pas tant l’événement en soi que la fascination exercée par le mystère de ces derniers jours », a ainsi déclaré le cinéaste.
Cette démarche fait écho au puzzle énigmatique de Elephant qui ne donnait aucune piste quant aux raisons qui avaient poussé deux lycéens à massacrer leurs camarades de lycée. On retrouvera d’ailleurs le même jeu avec la caméra : les personnages, filmés de dos, déambulent dans un labyrinthe spatial (ici : une maison en bois qui tient du tombeau) qui ne peut les mener qu’à leur perte.
Le cadrage des décors n’est d’ailleurs pas anodin chez le réalisateur : aux splendides paysages de Gerry succède un Eden qui prend toute sa dimension dès l’ouverture du film : loque souillée et pitoyable, balbutiant des propos inaudibles, Blake plonge dans les eaux d’une rivière où il semble se purifier. Ce premier quart d’heure à lui seul serait un très beau court métrage, par son côté irréel et son souffle élégiaque.

Le portrait de cet ange déchu est parfois entrecoupé de séquences incongrues. La visite d’un représentant de commerce vantant les mérites des pages jaunes à un Kurt défoncé peut certes être perçue comme une respiration dans une œuvre à la tonalité sombre. Mais plus qu’une concession à l’humour indépendant (Jarmusch n’est pas loin), elle ne fait que révéler l’ampleur du décalage entre l’artiste agonisant et la réalité.
Avec une économie de moyens, Gus Van Sant nous fait également pénétrer dans un univers mental : des détails de la bande sonore ou un hors-champ allusif trahissent ainsi le profond désarroi d’un être dont la fin est inéluctable. Michael Pitt rejoint ici les figures du 7e art qui laisseront une trace par leur rôle de personnage en sursis : John Gielgud dans Providence ou Martine Carol dans Lola Montès n’en sont pas les moindres références.
Mais c’est dans la filmographie de l’auteur que l’on retrouvera cette constante. Oublions le mauvais gag du remake plan par plan de Psycho (1998) et (re)découvrons ces deux perles noires que furent Drugstore Cowboy (1989) et My Own Private Idaho (1991). Dans la première, Matt Dillon était un ex-junkie rattrapé par son passé ; dans la seconde, River Phoenix se mourait d’amour avant de mourir tout court, et l’acteur disparaissait d’overdose deux ans après le tournage. N’est-ce pas d’ailleurs son ombre qui revient hanter l’œuvre crépusculaire de Gus Van Sant ? Ce joyau atypique et troublant qu’est Last Days semble apporter une réponse…

Gérard Crespo


1h37 - USA - Scénario, dialogues : Gus van Sant - Photo : Harris Savides - Montage : Gus van San - Interprétation : Michael Pitt, Asia Argento, Lukas Haas, Scott Green, Nicole Vicius, Ricky Jay, Ryan Orion, Harmony Korine, Kim Gordon.

ACCUEIL

RETOUR A LA LISTE DES FILMS