Tetro
de Francis Ford Coppola
Quinzaine des réalisateurs
palme



Sortie en salle : 23 décembre 2009


Les désaxés

Après L'Homme sans âge (2007), ce film confirme le grand retour de Coppola, dont la carrière tournait à vide depuis une quinzaine d'années. On aurait pu penser que Tetro, relégué en Quinzaine des Réalisateurs après avoir été écarté de la Compétition officielle, était un naufrage artistique montré à la sauvette. Il n'en est rien. Outre le fait que la Quinzaine a déjà ouvert la porte à de grands auteurs populaires (d'Arthur Penn à Denys Arcand), et ne saurait prétendre au titre de section de consolation, Tetro ne décevra pas les fans du maître et devrait redorer le blason d'un cinéaste quelque peu malmené par les spécialistes. La première moitié du film évoque l'univers poisseux et tendu des pièces de Tennessee Williams, et des adaptations qui en ont résulté pour le grand écran. Pourtant, le scénario original a bien été écrit par Francis Ford himself. Exilé en Argentine, fils d'un grand chef d'orchestre italo-américain, Tetro (Vincent Gallo, halluciné), est un écrivain raté qui refuse obstinément de reprendre son travail littéraire. L'arrivée inopportune d'un jeune frère enthousiaste (Alden Ehrenreich, mélange de DiCaprio, River Phoenix et Matt Dillon blond), qui le taraude de questions, amènera une série de couteaux remués dans la plaie, de flash-backs explicatifs ou oniriques, et de révélations de secrets de famille enfouis... D'aucuns ont souligné le caractère autobiographique du récit, l'ombre du cinéaste ayant sans doute été encombrante pour sa fille, la réalisatrice Sofia Coppola (Virgin Suicides), son fils Roman, et son neveu Nicolas Cage. Mais, on s'en doutera, Coppola transcende ce matériau de base introspectif pour dégager une réflexion émouvante sur les liens familiaux, la création artistique, et la nécessité de suivre sa propre voie.

On appréciera la virtuosité du montage, alternant les huis clos de combat psychologique frontal, les séquences de traumatisme d'enfance (dont un terrifiant crash automobile source de toutes les vicissitudes), et les rares scènes de rue, reconstituées en grande partie en studio.
La seconde partie du film, plus lyrique et baroque, révèle des accents de tragédie grecque, tempérés par un humour discret et bienvenu (la virée en voiture pour recevoir le prix littéraire). Même si dans le dernier quart d'heure (l'incendie dans l'église), la grandiloquence n'est pas loin, jamais le cinéaste ne verse dans le pathos et le visuellement chargé. L'irruption de rares séquences en couleur dans un film essentiellement composé d'un noir et blanc splendide n'est pas sans évoquer Rusty James ; et l'étourdissement musical et plastique fait écho aux souvenirs de Coup de cœur et autres Dracula. C'est que Tetro est vraiment la synthèse du courant avant-gardiste indépendant de Coppola et de ses superproductions plus dispendieuses, aux allures d'opéra, qui culminèrent avec Apocalypse Now. Tetro confirmera aussi son immense talent de directeur d'acteurs. Outre Gallo et Ehrenreich, on citera la subtile Maribel Verdú (Le Labyrinthe de paon) en épouse oscillant entre la patience et la révolte. Et les brèves mais saisissantes apparitions de Carmen Maura dans le rôle de « Alone » ont l'ampleur à la fois charnelle et irréelle de Dietrich dans La Soif du mal. Il n'est pas dans la tradition de la Quinzaine des Réalisateurs de décerner un palmarès. Nul doute que si tel avait été le cas, Coppola aurait pu damer le pion à maints jeunes (et talentueux) auteurs présents dans cette section.

Gérard Crespo


2h07 - Etats-Unis, Argentine, Espagne, Italie - Scénario : Francis Ford COPPOLA - Interprétation : Vincent GALLO, Maribel VERDU, Klaus Maria BRANDAUER, Carmen MAURA, Rodrigo DE LA SERNA.

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