Avec Les Trois singes, Nuri Bilge Ceylan (sans doute le plus grand cinéaste turc depuis Ylmaz Güney) signe son meilleur film, dépassant le déjà dépouillé Uzak et l'antonionien Climats (voir articles de Jean Gouny dans CinémaS 2003 et 2006).
Un politicien influent écrase accidentellement un passant en pleine période électorale. Voulant échapper au scandale, il propose à son chauffeur d'endosser la responsabilité et d'accepter la prison en échange d'une forte somme d'argent qu'il recevra à sa sortie. Dès la première séquence, Ceylan impose son style magistral et sans effets : le plan qui suit la voiture jusqu'à un virage montre l'art de l'économie de moyens propre au réalisateur.
Tout le reste de l'œuvre distillera la même tension dramatique par une épure sans concessions. Le récit sera concentré autour de la famille du chauffeur. L'épouse se vendra à l'homme politique pour s'assurer de ses engagements mais en s'entichant de lui, elle sera à l'origine d'un drame dont chacun (y compris et surtout le fils) essaiera de sortir indemne.
De sa formation initiale de photographe, Ceylan, épaulé par un chef opérateur inspiré, a gardé une aptitude à soigner les cadrages : des gros plans de visages bergmaniens aux prises de vue sous des ciels de plomb, on est dans le domaine de la perfection et de la rigueur.
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On se doit de souligner aussi le remarquable travail sur la bande-son : le moindre soupir, traduisant une hésitation ou un acte inconscient, est mis en avant pour qui accordera son attention à ces menus détails.
Au-delà de la réussite technique, au service d'un scénario faussement minimaliste, on appréciera la finesse de la narration et du choix du placement de la caméra. Le récit manie en effet l'art de l'ellipse et des non-dits, sans tomber dans le piège du hiératisme et de la pose. En attestent la séquence sur la plage ou celle dans laquelle le fils réalise le comportement adultère de sa mère : l'action hors-champ s'avère, comme dans la séquence d'ouverture, plus saisissante que si elle avait été filmée frontalement.
Ce portrait intimiste a enfin une impeccable direction d'acteurs. L'étonnante et belle Hatice Aslan aurait pu gagner le prix d'interprétation féminine, partagé avec une muse d'autres cinéastes traitant affaires de famille : Anne Consigny dans Un conte de Noël ou Arsinée Khanjian dans Adoration.
Gérard Crespo
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