TONI, DANIEL, ROSA, ELLE ET LES AUTRES... La compétition officielle L'édition du Festival de Cannes 2016 s'est avérée un bon cru. Des cinéastes confirmés y ont souvent livré le meilleur d'eux-mêmes, quand des artistes moins célèbres ont brillé par leur inspiration et leur audace. Présenté en ouverture, et hors compétition, Cafe Society est ce que l'on peut nommer un « grand film mineur » de Woody Allen, à savoir une œuvre d'une grande tenue eu égard à la dimension de ce cinéaste. Les discordes familiales dépeintes ont trouvé un écho plus sombre dans Sieranaveda de Cristi Piu, vertigineuse radioscopie d'une société roumaine en pleine mutation. Le ton décalé des deux films français projetés quelques heures après a pu déconcerter certains festivaliers. Ce fut d'abord Rester vertical d'Alain Guiraudie, qui aurait mérité le prix du « film très spécial », si celui-ci existait. Ma Loute de Bruno Dumont, fantaisie policière surréaliste et trash, fut autant défendu que décrié. Plus classique, sans être académique, Moi, Daniel Blake a montré que Ken Loach n'a pas perdu la main, et excelle toujours dans la critique sociale par sa description de la classe populaire anglaise. Dans un autre registre, Mademoiselle de Park Chan-wook, avec ses images léchées, sa construction à tiroirs et son érotisme discret, a confirmé le savoir-faire d'un auteur coréen qui gagne en maturité plus qu'en sagesse. C'est alors qu'un véritable miracle se produisit sur la Croisette avec Toni Erdmann, petit bijou du cinéma allemand signé Maren Ade, merveille d'écriture et d'émotion, curieusement oublié au palmarès, quand il pouvait prétendre à la Palme d'or. En mode plus mineur, American Honey a marqué l'intrusion d'Andrea Arnold dans le road movie et le cinéma indépendant américain, quand Nicole Garcia et son scénariste Jacques Fieschi présentaient avec Mal de Pierres une adaptation littéraire de qualité. Le cinéma américain montra ensuite sa diversité avec Loving, touchant récit d'un amour interethnique signé Jeff Nichols, suivi par Paterson de Jim Jarmusch, dont le charme rappelle les premiers films du cinéaste. Pedro Almodovar était très attendu et a livré avec Julieta l'une de ses œuvres les plus sombres, modèle d'épure. Moins connu, le Brésilien Kleber Mendoça Filho a élargi son audience avec Aquarius, bel exercice de style magnifié par Sonia Braga. Après ces deux coups d'éclat, Personal Shopper d'Olivier Assayas a pu sembler raté, mais le temps donnera peut-être de la patine à ce récit onirique. Trois autres habitués du Festival furent mieux accueillis. Jean-Pierre et Luc Dardenne ont été dans la continuité de leur démarche avec La Fille inconnue, consensuel mais éblouissant, et Brillante Mendoza a retrouvé la fibre de ses origines avec Ma' Rosa, modèle de néoréalisme policier. Ancien lauréat de la Palme d'or, Christian Mungiu a confirmé son art de la mise en scène avec Baccalauréat, quand Xavier Dolan, dont on attendait sans doute trop, a quelque peu raté sa cible avec Juste la fin du monde. Passons sur The Last Face de Sean Penn, qui n'avait pas sa place en compétition officielle, et constatons que le Danois Nicolas Winding Refn reste un formaliste élégant, remarqué cette année avec le dérangeant The Neon Demon, au ton très lynchien. La compétition officielle s'est achevée avec deux pépites : Paul Verhoeven avec Elle s'est approprié avec intelligence un matériau policier de Philippe Djian, tandis que l'Iranien Asghar Farhadi est resté fidèle à son émouvant moralisme humaniste avec Le Client.
Hors compétition et Un Certain Regard Hors compétition, les films d'auteur ont côtoyé le cinéma de genre. Paul Vecchiali (Le Cancre), Albert Serra (La Mort de Louis XIV), Karim Dridi (Chouf), Grégoire Leprince-Ringuet (La Forêt de Quinconces) étaient ainsi présents, mais aussi Yeon Sang-ho, réalisateur de Train to Busan, vibrant film de zombies d'une maîtrise totale, Na Hong-jin, très inspiré avec le polar fantastique The Strangers, Jean-François Richet, en mode série B avec Blood Father, ou Steven Spielberg, en petite forme avec Le BGG. C'est le propre du Festival d'alterner les genres, passant du thriller populaire avec Money Monster de Jodie Foster à la comédie policière déjantée avec The Nice Guys de Shane Black, en passant par des documentaires de la trempe de Gimme Danger de Jim Jarmusch, La Dernière plage de Thanos Anastopoulos et Davide Del Gan, Wrong Elements de Jonathan Littell, et surtout le poignant Exil de Rithy Panh, fidèle à son traitement du génocide cambodgien. Au Certain Regard, ouvert avec l'incisif Clash de l'Égyptien Mohamed Diab, les réussites n'ont pas manqué. The Happiest Day in the Life of Olli Mäki, récit d'un champion de boxe de finlandais, a obtenu la distinction majeure du Jury présidé par Marthe Keller. C'est un premier film honorable mais on peut lui préférer Dogs, percutant thriller social du Roumain Bogdan Mirica, Apprentice, glacial récit d'initiation signé par le Coréen Boo Junfeng, Voir du pays, second opus des
sœurs Coulin, sur le traumatisme de guerre, La Danseuse, subtil biopic signé Stéphanie Di Giusto, Captain Fantastic de Matt Ross, révélateur du meilleur cinéma indépendant américain, Après la tempête de Hirokazu-eda et Harmonium de Fukada Kôji, touchants drames familiaux japonais, Transfiguration, film d'horreur américain de Michael O'Shea, Le Disciple de Kirill Serebrennikov, subtil portrait d'un jeune russe catho, Personal Affairs de Maha Haj, mini-film choral palestinien, ou La Tortue rouge, sublime film d'animation de Michael Dudok De Wit. Des œuvres plus mineures n'ont cependant pas démérité, à l'instar des polars Comancheria et Pericle Il Nero signés respectivement par le Britannique David MacKenzie et l'Italien Stefano Mordini. Cannes Classics William Friedkin a été le prestigieux invité d'honneur de cette section puisque, outre sa Leçon de cinéma, il a présenté Police Fédérale Los Angeles, l'un de ses polars cultes, tandis que les cinéphiles ont pu apprécier son chef-d'œuvre Sorcerer. Des restaurations en numérique ont aussi permis de découvrir des raretés comme le touchant Santi-Vinha de Thavi Na Bangchang, premier film thaïlandais en couleur, mais aussi de grands classiques du 7e art. Les cinéphiles ont ainsi été émerveillés par des perles aussi diverses que Valmont de Milos Forman (présenté par Jean-Claude Carrière), Amour de Karoly Makk, La Chambre des tortures de Roger Corman, Les Contes de la lune vague après la pluie de Kenji Mizoguchi, Coup de tête de Jean-Jacques Annaud, La Dernière chance de Leopold Lindtberg, Gueule d'amour de Jean Grémillon, Indochine de Régis Wargnier, Masculin féminin de Jean-Luc Godard, Mémoires du sous-développement de Tomas Gutiérrez Alea, Rendez-vous de juillet de Jacques Becker, Retour à Howards End de James Ivory, Le Roi de cœur de Philippe de Broca, Solaris d'Andreï Tarkovski, Un homme et une femme de Claude Lelouch, La Vengeance aux deux visages de Marlon Brando, ou Le Décalogue 5 (Tu ne tueras point) et 6 (Tu ne seras pas luxurieux) de Krzysztof Kieslowski. Des séances spéciales ont permis de revoir des raretés comme La Planète des vampires de Mario Bava, tandis que le cinéma d'animation n'a pas été oublié avec le rarissime Momotaro. Le documentaire a quant à lui été mis en valeur avec l'indispensable Voyage à travers le cinéma français de Bertrand Tavernier, Farrebique de Georges Rouquier (en l'honneur du 70e anniversaire de la FIPRESCI), Faits divers de Raymond Depardon, The Endless Summer de Bruce Brown ou Cinema Novo d'Eryk Rocha (lauréat de l'Œil d'or). Et c'est au pittoresque Cinéma de la Plage qu'ont été projetés le fascinant En quatrième vitesse de Robert Aldrich, l'éternel Le Dictateur de Charles Chaplin, l'exquis Le Fanfaron de Dino Risi, Nous nous sommes tant aimés, en hommage à Ettore Scola, ou Purple Rain, en mémoire de Prince.
Ouverte avec Fais de beaux rêves, poignant récit d'un traumatisme d'enfance réalisé par Marco Bellochio, la Quinzaine des Réalisateurs a présenté les derniers opus de deux autres vétérans du 7e art, Alejandro Jodorowsky (Poésie sans fin), et Paul Schrader, qui a clôturé la manifestation avec Dog Eat Dog. Si Mean Dreams de Nathan Orlando a été le faux pas de la sélection, les festivaliers ont pu apprécier des œuvres réussies et aussi différentes que L'Effet aquatique de la regrettée Solveig Anspach, Divines de Houda Benyamina, Folles de joie de Paolo Virzi, Neruda de Pablo Larrain, L'Économie du couple de Joachim Lafosse, Tour de France de Rachid Djaïdani, Wolf and Sheef de Shahrbanoo Sadat, Fiore de Claudio Giovannesi, Mercenaire de Sacha Wolff, Ma vie de Courgette, film d'animation de Claude Barras, ou Les Vies de Thérèse, documentaire de Sébastien Lifshitz sur une grande figure du mouvement LGBT. La Semaine de la Critique est toujours spécialisée dans les premiers et seconds longs métrages. Ouverte avec le charmant Victoria de Justine Triet, elle a consacré Oliver Laxe (Mimosas) et révélé plusieurs auteurs dont le Turc Mehmet Can Mertoglu (Albüm), l'Israélien Asaph Polonsky (One Week and a Day), le Franco-cambodgien Davy Chou (Diamond Island), ou la Française Julia Ducournau (Grave). Quant à la section ACID, elle proposa son lot de découvertes avec des œuvres de Sébastien Betbeder (Le Voyage au Groenland), Olivier Babinet (Swagger), Sébastien Laudenbach (La Jeune fille sans mains), Damien Manivel (Le Parc), Emmanuel Parraud (Sac la mort), Jero Yun (Madame B, histoire d'une Nord-Coréenne), Fabianny Deschamps ou Wissam Charaf, sans oublier le film Willy 1er, réalisé à quatre mains.
Gérard Crespo
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