La Dernière chance |
Au-delà des montagnes Italie du Nord, septembre 1943. Deux prisonniers de guerre alliés, un Anglais et un Américain, s’évadent lorsque le train qui les conduit en Allemagne est bombardé. Ils sont recueillis par un curé de village qui fait passer en Suisse toutes les personnes qui tentent d’échapper aux Allemands. Les deux prisonniers deviennent passeurs à leur tour et prennent la tête d’un groupe de réfugiés juifs de tous âges et de dix nationalités différentes. Poursuivis par les nazis, ils vont tenter de rejoindre la Suisse par la montagne… Produit par la société Praesens-Film, La Dernière chance représenta la Suisse au Festival de Cannes 1946 et y reçut le Grand Prix, partagé avec... onze autres œuvres dont Rome, ville ouverte de Roberto Rossellini. Les deux productions ont d'ailleurs des similitudes, à commencer par le thème de la résistance, même si La Dernière chance le traite par le biais du cas des prisonniers et réfugiés de guerre. Mais le personnage du prêtre qui sauve des vies humaines est assez proche de celui campé par Aldo Fabrizi dans le chef-d'œuvre du néoréalisme. Là s'arrête la comparaison tant le film de Lindtberg est classique dans sa forme, plus proche des qualités artisanales et techniques de La Bataille du rail de René Clément, également présenté à Cannes en 1946. Le film vaut par son souci de réalisme documentaire, tout en assumant un romanesque et un suspense inhérent au film de guerre et d'aventures. Le casting, composé d'acteurs peu connus, est particulièrement réussi et la nationalité des interprètes est cohérente avec celle des personnages. Un des mérites de Lindtberg est d'avoir respecté les différentes langues (italienne, française, allemande...) avec sous-titrage, sans passer par le doublage ou l'anglais exclusif : ce qui peut paraître évident aujourd'hui (encore que...) ne l'était pas forcément à l'époque, et le film se révèle novateur à ce niveau. |
On appréciera surtout l'humanisme du propos, qui contribua beaucoup au bon accueil du film, et qui trouve de troublantes résonances dans l'actualité. Lindtberg a été ici bien épaulé par son scénariste Richard Schweizer qui a mené un long travail d'enquête, même si le réalisateur a reconnu que la réalité a été édulcorée : « L'histoire de ce film n'est qu'un inoffensif conte de fée comparé aux faits réels. [...] Ce n'est pas un film pour ceux qui ont connu le malheur mais pour tous les autres, les heureux, les épargnés, afin que cela les incite à réfléchir ». Le film remporta un grand succès en Europe et aux États-Unis, où il fut distribué par la MGM. L'accueil des autorités suisses fut pourtant mitigé, car le récit évoquait la situation des juifs non considérés comme des réfugiés politiques et dont beaucoup furent refoulés aux frontières, en dépit d'actes de « désobéissance civile ». Mais là encore, cette question n'est traitée qu'implicitement, même si l'on peut penser que Lindtberg et son producteur Lazar Wechsler, tous deux juifs et anciens exilés, n'ont pu être que sensibles à ce problème. En dépit de sa popularité et d'une bonne réception critique (Henri Langlois, Georges Sadoul ou Alfred Hitchcock en étaient d'ardents défenseurs), La Dernière chance tomba dans un curieux oubli. Il vient d'être restauré par la Cinémathèque suisse, en collaboration avec la Schweizer Radio und Fernsehen (SRF), Memoriav et le laboratoire Viventy. Malgré une musique envahissante qui est le seul élément à avoir vieilli, il faut (re)découvrir cette œuvre essentielle de l'après-guerre. Gérard Crespo
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1945 - 1h53 - Suisse - Scénario : Alberto BARBERIS, Elizabeth MONTAIGU, Richard SCHWEIZER - Interprétation : Ewart G. MORRISON, John HOY, Ray REAGAN, Luisa ROSSI, Giuseppe GALEATI, Romano CALO, Therese GIEHSE. |