Album de famille
Albüm
de Mehmet Can Mertoglu
Semaine de la Critique
Prix Révélation France 4






Baby Blues

Ce premier long métrage met en scène un couple de quadragénaires turcs décidés à adopter un enfant. Dans une société patriarcale où la stérilité est étiquetée non conforme, les deux époux décident de cacher leur choix. Une grossesse simulée, un album de famille trafiqué et des petits mensonges entre voisins permettront de leur donner bonne conscience jusqu’à l’arrivée de l’heureux événement, source de bien des déboires et désillusions. Cette comédie pince-sans-rire a le mérite d’aborder certains aspects rétrogrades de la société turque, tout en refusant le ton militant et consensuel de Mustang de Deniz Gamze Ergüven, qui avait été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs 2015, avant de connaître un succès mondial. Mehmet Can Mertoglu opte pour une démarche plus radicale, débutant son récit par une déroutante métaphore animalière, privilégiant les plans fixes et les ellipses, et préférant dépeindre des protagonistes antipathiques, loin de l’angélisme des films ayant pour cadre la maternité. Qu’il décrive l’absurdité des démarches administratives et policières ou le caractère décalé d’un professeur d’histoire, le cinéaste dépeint des compatriotes souvent « affreux, sales et méchants », sans toutefois la tendresse indulgente de Aki Kaurismäki ou Elia Suleiman, auxquels son cinéma fait songer, par sa dimension ubuesque et surréaliste.

L’aspect dénonciateur du scénario le rapproche également de cinéastes aussi divers que l’Israélienne Nadav Lapid (L’Institutrice) ou le Russe Kirill Serebrennikov (Le Disciple). « Bien entendu, le film donne à voir le racisme de la classe moyenne, mais mon intention n’était pas de critiquer la société turque. Il ne s’agissait pas, du moins, d’un sujet prioritaire. Mais le fait est que, si vous prétendez évoquer la Turquie, et si vous cherchez à rendre compte de la teneur de conversations quotidiennes, et a priori anodines, alors vous ne pouvez pas éviter d’intégrer ce genre de réflexions aux dialogues. Par ailleurs, la Turquie est un pays multiculturel, un vieil empire ou, depuis toujours, des populations d’origines très diverses se croisent. Il n’est donc pas si étonnant que le racisme y soit très présent », a déclaré le cinéaste. La démarche est indéniablement courageuse sur le fond, tout autant qu’audacieuse sur la forme, et révélatrice du malaise des artistes face à une certaine régression sociétale. Mais on pourra aussi rester extérieur à cette volonté de distanciation glaciale et hautaine.

Gérard Crespo

 



 

 


1h45 - Turquie - Scénario : Mehmet CAN MERTOGLU - Interprétation : Sebnem BOZOKLU, Murat KILIT, Muttalip MÜJDECI.

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