L'Institutrice
Haganenet
de Nadav Lapid
Semaine de la Critique
Séance spéciale


Sortie en salle : 10 septembre 2014




« Si Mozart vivait à notre époque... »

Nadav Lapid avait été révélé avec Le Policier (2011), peinture au vitriol de la société israélienne. Il récidive avec ce long métrage encore plus abouti, qui constitue un choc comparable à celui créé par Le Procès de Viviane Amsalem, également présenté à Cannes cette même année. Le cinéaste suit le cheminement de Nira (sublime Sarit Larry). Maîtresse d'école appréciée, elle mène une existence assez rangée. Son mari est ingénieur dans une entreprise publique et gagne plutôt bien sa vie. Elle est mère de deux jeunes adultes dont un fils militaire, promu à une belle carrière d'officier. La poésie est en fait sa véritable passion. Entre sa participation à des assemblées de poètes plus ou moins doués et la composition de recueils qui lui sont chers, elle semble passer à côté d'une vraie vie d'artiste qu'elle n'arrive pas à assumer. Jusqu'au jour où elle découvre que le petit Yoav Pollack, nouveau dans sa classe, s'avère un petit génie de la poésie du haut de ses cinq ans. La vie de Nira va s'en trouver bouleversée...

Comme Ronit et Shlomi Elkabetz, Nadav Lapid critique les maux d'un pays qui, au-delà de la plaie du conflit israélo-palestinien, peine à concilier démocratie et libertés publiques, efficacité et imagination, endoctrinement et épanouissement artistique. Le microcosme que va affronter l'institutrice est à ce titre éloquent. L'oncle poète, correcteur dans un grand journal, n'est qu'un raté aux yeux du père de Yoav, restaurateur d'un établissement pour nouveaux riches.

Ce dernier considère les dons littéraires de son fils comme une chimère, qui lui passera avec l'âge, et souhaite un avenir bien plus normatif pour le garçonnet. Les autres adultes entourant le poète en herbe sont tous des êtres rigides ou superficiels le percevant comme un enfant bizarre ou un petit singe savant. Quand Nira s'aperçoit que sa volonté de faire éditer les poèmes de l'enfant ne trouve aucun appui, et qu'elle même est menacée, le scénario prend alors une direction surprenante que nous ne dévoilerons pas.

L'Institutrice évite deux écueils. On aurait pu craindre d'abord un film édifiant et larmoyant, tel qu'un certain cinéma hollywoodien aurait pu le concocter, à l'instar du redoutable Cercle des poètes disparus. Cela n'est heureusement pas le cas.

Le cinéaste évite aussi l'artillerie lourde du film à thèse, préférant les non-dits et ellipses, ainsi que les plans-séquences permettant de cerner les doutes et ambiguïtés des personnages. Il baigne ainsi une ambiance oppressante, y compris dans les passages censés marquer une pause dans les tourments de Nira, à l'image de ces séquences musicales (fête dans un appartement, virée en discothèque, ambiance d'hôtel de luxe), filmées avec sécheresse et détachement. Présentée en séance spéciale à la Semaine de la Critique, l'œuvre confirme la vitalité du nouveau cinéma israélien.

Gérard Crespo


 

 


2h - Israël, France - Scénario : Nadav LAPID - Interprétation : Sarit LARRY, Avi SHNAIDMAN, Yehezkel LAZAROV.

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