Nous nous sommes tant aimés
|
« Nous voulions changer le monde, mais le monde nous a changés ! » Trente ans déjà : les derniers épisodes de la guerre, de la résistance italienne contre le nazisme. Gianni, Nicola et Antonio étaient trois amis. Mais, la guerre finie, la paix a progressivement séparé le trio... Sommet de la comédie italienne, Nous nous sommes tant aimés est d'abord une magnifique histoire d'amitié et d'amour, qui fait écho à Drame de la jalousie (1970), autre réussite du cinéaste. Les trois hommes se lient successivement à Luciana (Stefania Sandrelli), une aspirante comédienne qui sera à l'origine de leur mésentente. Mais tout n'est pas qu'affaire de sentiments. Si la lutte contre le totalitarisme et la promotion des idéaux révolutionnaires les a soudés un temps, le fossé politique et social va de pair avec leur fracture affective. Des trois amis, seul Antonio (Nino Manfredi), brancardier à l'hôpital de Rome, est le véritable homme du peuple, incarnation du nouveau prolétariat. Nicola (Stefano Satta Flores) est la figure typique de l'intellectuel tourmenté, incapable de nourrir sa famille, et qui finit par se fourvoyer dans de pitoyables jeux télévisés. Gianni (Vittorio Gassman), le juriste, symbolise l'enrichissement de la classe moyenne et connaît l'ascension sociale en épousant la fille d'un promoteur immobilier véreux (Aldo Fabrizi). Les idéaux de jeunesse s'effritent, mais au-delà de ces cas individuels, Scola dresse un portrait saisissant de trente ans d'histoire de l'Italie, de 1944 à 1974. Nous nous sommes tant aimés est aussi un hommage à trois décennies de cinéma italien. Animateur de ciné-club, Nicola est un des premiers défenseurs du néoréalisme et Le Voleur de bicyclette hantera son existence. Luciana voit ses espoirs déçus et se retrouve quinze ans plus tard ouvreuse dans une salle de quartier. |
Et c'est près de la fontaine de Trevi, sur le tournage de La Dolce Vita qu'ont lieu, par hasard, des retrouvailles entre anciens amis. Le cinéma de l'incommunicabilité n'est pas oublié à travers le personnage d'Elide (Giovanna Ralli), qui passe du statut de bourgeoise inculte à celui d'intellectuelle névrosée, détachée de son mari Gianni, qu'elle juge pitoyable. La subtilité du scénario de Scola, Age et Scarpelli fait alterner les pures séquences de comedia del arte et les moments d'émotion, et le film regorge de séquences cultes : un spectacle d'avant-garde dont Antonio ne comprend pas le sens, la détresse amoureuse de Luciana au détour de quatre photos d'identité, ou le quiproquo au cours duquel Antonio pense que Gianni est devenu gardien de parking. On notera aussi la sophistication du montage, et en particulier le recours original au flash-back (le plongeon en arrêt sur image), ainsi que le travail cohérent sur la photo (usage du sépia, du noir et blanc et de la couleur pour rythmer divers passages temporels). Les mises en abyme et passages semi-oniriques (l'écran de cinéma qui projette les sentiments de Luciana, la conversation entre Gianni et le fantôme de son épouse) font aussi la force du film. Loin d'être des coquetteries de style, ils confirment la force et la singularité d'une œuvre qui n'a pris que très peu de rides avec le temps. Modèle de fusion entre le cinéma populaire et le film d'auteur, interprété à la perfection, Nous nous sommes tant aimés n'avait pas volé son succès international et ses différents prix, dont le César du meilleur film en langue étrangère. Gérard Crespo
|
1974 - 2h - Italie - Scénario : Ettore SCOLA, Agenore INCROCCI, Furio SCARPELLI - Interprétation : Nino MANFREDI, Vittorio GASSMAN, Stefania Sandrelli, Stefano SATTA FLORES, Giovanna RALLI, Aldo FABRIZI. |