Diamond Island
de Davy Chou
Semaine de la Critique
Prix SACD






Mirage de la vie

Bora, dix-huit ans, quitte son village pour travailler sur les chantiers de Diamond Island, projet de paradis ultra-moderne pour les riches et symbole du Cambodge du futur. Il s’y lie d’amitié avec d’autres jeunes ouvriers, jusqu’à ce qu’il retrouve son frère aîné, le charismatique Solei, disparu cinq ans plus tôt. Solei lui ouvre alors les portes d’un monde excitant, celui d’une jeunesse urbaine et nantie, ses filles, ses nuits et ses illusions… Il s’agit du premier long métrage de fiction du réalisateur franco-cambodgien Davy Chou, auteur du Sommeil d’or, documentaire sur l’effritement de la cinématographie cambodgienne, et du court-métrage Cambodia 2099, qui se déroulait déjà à Diamond Island. Récit d’initiation et chronique sociale, le film est attachant dans sa description des liens familiaux, amoureux et amicaux. C’est surtout l’hésitation de Bora, partagé entre la fidélité à sa mère et son meilleur ami et sa fascination pour Solei, qui lui fait miroiter un avenir bien meilleur aux États-Unis. Le récit s’avère subtil dans ses non-dits (une probable affaire de prostitution semble concerner Solei) et ses ellipses (la reconversion professionnelle d’un des personnages centraux). Le montage est à la fois limpide et efficace, avec des plans qui mettent en avant avec force l’opposition entre les cabanes délabrées des jeunes travailleurs et l’univers clinquant de Diamond Island, île sur les rives de Phnom Penh transformée par les promoteurs immobiliers en quartier pour touristes aisés et nouveaux riches locaux, à l’initiative des autorités cambodgiennes.


Ce Las Vegas délocalisé est aux antipodes de la culture de Bora et de son proche entourage. L’acculturation y est presque forcée : d’Halloween à la Saint-Valentin en passant par l’iPhone 6, les totems occidentaux s’imposent à tous, pour le meilleur comme pour le pire. « Il y a une espèce de surgissement brutal de la modernité dans un pays qui n’a pas du tout été habitué à ça. Le pays est comme précipité dans le futur, et la jeunesse qui est née pendant une période de privation conséquente à une Histoire excessivement tragique y perd ses repères. Le film s’articule autour du désir, à la fois naïf, violent et sans recul qu’engendre ce surgissement, et ce à tous les niveaux de la société ». Ces propos de Davy Chou dans les notes d’intention ne doivent pourtant pas réduire le film à un pamphlet. Davy Chou ne fait pas œuvre de militant et filme sans condescendance ce nouvel ordre urbain et cette société de consommation érigée en modèle de référence : il se permet même de réserver au quartier de Diamond Island ses plus belles prises de vue, avec la collaboration du chef-opérateur Thomas Favel, jouant sur les couleurs et les expérimentations esthétiques qui ne sont pas sans rappeler les démarches de Martin Scorsese ou Michael Mann. Enfin, Davy Chou dirige avec efficacité ses jeunes acteurs presque tous non professionnels, qui irradient l’écran par leur jeu lumineux.

Gérard Crespo

 



 

 


1h41 - France, Cambodge - Scénario : Davy CHOU, Claire MAUGENDRE - Interprétation : Sobon NUON, Cheanick NOV, Madeza CHHEM, Mean KORN, Samnang NUT.

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