Willy 1er |
« À Caudebec j’irai... » À la mort de son frère jumeau, Willy, la cinquantaine, quitte pour la première fois ses parents pour s’installer dans le village voisin. « À Caudebec, j’irai. Un appartement, j’en aurai un. Des copains, j’en aurai. Et j’vous emmerde ! ». Inadapté, Willy part trouver sa place dans un monde qu’il ne connaît pas. Écrit et réalisé par quatre jeunes cinéastes, dont deux jumeaux et trois anciens étudiants de l'École de la Cité de Luc Besson, Willy 1er est un petit bijou, qui transcende avec bonheur un synopsis d'une tonalité glauque. Car l'on pouvait craindre le pire de ce récit dès sa première séquence, qui oscille entre le documentaire trash de fin de soirée télévisée et l'ironie décalée d'un Jaco Van Dormael... Mais les auteurs trouvent vite le ton juste, évitant tous les pièges inhérents à un tel sujet, à savoir la conceptualisation désincarnée, le voyeurisme ou la trappe à bons sentiments. Willy le personnage est plus proche de la Sweetie de Campion que de Forrest Gump ou Rain Man, ce dont on se réjouira, et les réalisateurs sont cohérents dans leur démarche. Inspiré de la vie de Daniel Vannet, interprète du rôle-titre, le film est dans le prolongement de deux courts métrages dans lesquels était montré le quotidien de cet adulte désaffilié, illettré et asocial, et qui finit par sortir de son handicap culturel. Oscillant entre l'inspiration réaliste et le conte onirique, Willy 1er le film est le beau récit d'une initiation et d'une émancipation, à l'humour pince-sans-rire dans la lignée de Roy Andersson et Aki Kaurismäki. Au milieu d'une faune de personnages pittoresques plus ou moins attachants deux figures se distinguent. C'est d'abord la bienveillante Catherine, curatrice qui fait office de bonne fée, et qui a les traits de la toujours excellente Noémie Lvovsky, seule actrice professionnelle dans un casting hautement borderline. |
C'est ensuite le troublant Willy 2 (Romain Léger, une révélation), qui travaille dans le même centre commercial que Willy, harcèle d'emblée ce « gros lard mongol », avant d'être lui-même l'objet des sarcasmes et des violences des « potes du PMU ». Car Willy 2 est homo, travesti et fantasque, ce qui est mal vu dans ce petit village étriqué. Et là, les réalisateurs brouillent les pistes avec subtilité, cassant le mythe des amitiés collectives, et jouant d'une noirceur à la Fassbinder que l'on n'attendait pas dans ce petit film insolite mais poli. Éloge du droit à la différence, le film préfère les zones d'ombre au style démonstratif, la nuance au manichéisme, et déjoue sans cesse les attentes du spectateur, par ses ruptures de ton (on frôle un temps le thriller) et le caractère imprévisible de ses protagonistes. « Partir de bas et arriver à se hisser, c’est quelque chose de magnifique. Alors, oui, on avait envie de dire que cette histoire est héroïque, qu’elle en devient un hymne au courage et à la liberté, qu’il n’y a pas d’âge pour s’affranchir des préjugés, s’émanciper, gagner son indépendance. Que Daniel mérite vraiment le statut de héros, et en voulant rendre justice à son histoire, on a voulu magnifier tous les petits accomplissements de Willy. Le film questionne aussi la force de réaliser ses ambitions. La réussite de Willy, sociale, professionnelle, n’est pas celle de la norme, de son environnement... Son projet de vie lui est intimement personnel. Marginal, Willy va s’arracher au terrible de sa situation, casser les codes avec ses outils à lui, pour se réaliser. » Ces propos tenus par Hugo P. Thomas sont révélateurs de l'ambition des scénaristes et de la correspondance entre les velléités d'indépendance de leur personnage et leur désir d'un cinéma spontané et libre. Gérard Crespo
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1h22 - France - Scénario : Hugo P. Thomas, Ludovic & Zoran BOUKHERMA - Interprétation : Daniel VANNET, Noémie LVOVSKY, Romain LÉGER, Eric JANQUET, Alexandre JACQUES, Robert FOLLET, Geneviève PLET. |