The Neon Demon
de Nicolas Winding Refn
Sélection officielle
En compétition








Cet obscur objet du désir

Une jeune fille (Elle Fanning) débarque à Los Angeles. Son rêve est de devenir mannequin. Son ascension fulgurante, sa beauté et sa pureté suscitent jalousies et convoitises. Certaines filles s’inclinent devant elle, d'autres sont prêtes à tout pour lui voler sa beauté... Après le controversé Only God Forgives, le cinéaste culte de Bronson et Drive a de nouveau divisé la Croisette avec cette œuvre insolite, au ton très lynchien. À l'instar du personnage de Naomi Watts dans Mullholland Drive, Jesse arrive dans une ville auréolée d'un passé de légende, et se présente sous une apparence de fausse innocence. Proie idéale dans un univers sans pitié, où tous les coups sont permis, l'adolescente passe sans difficultés du statut de novice à celui de star, bouleversant l'existence de celles et ceux qui gravitent autour d'elle, et ne peuvent être que fascinés par « cet obscur objet du désir ». De la maquilleuse énigmatique (Jena Malone) aux concurrentes voraces (Bella Heatcote et Abbey Lee), en passant par la directrice d'agence peu intègre (Christina Hendricks), les femmes sont d'inquiétantes mantes religieuses, quand les mâles n'ont pas forcément un plus beau rôle : le photographe de mode nombriliste (Desmond Harrington, rescapé de Gossip Girl et Dexter), ou le gérant de motel acariâtre (Keanu Reeves à contre-emploi) se servent d'elle ou ne lui sont d'aucun secours. Seul Dean, le petit ami (Karl Glusman, plus prude que dans Love), incarne un espoir de bonté mais sa naïveté le discrédite très vite aux yeux de Jesse et des scénaristes. Ayant côtoyé une myriade d'actrices et de mannequins sur les tournages de films et de publicité pour Gucci, Yves Saint Laurent, H&M ou Hennessy, Nicolas Winding Refn a souhaité broder un récit autour du thème de la beauté.

« La valeur de la beauté ne cesse de grimper, elle ne retombe jamais. Et, alors que sa durée de vie se réduit, nous sommes de plus en plus obsédés par elle. Cette obsession peut souvent mener à une forme de folie. Dans la mythologie grecque, Narcisse tombe tellement amoureux de sa beauté qu'il finit par se noyer dans sa propre beauté », a précisé le réalisateur. D'aucuns lui ont reproché un formalisme vain et une esthétique publicitaire, comme si NWR était pris au piège de son sujet et se vautrait dans cette même superficialité qu'il dénonce. Ces griefs ne nous semblent pas fondés, tant le réalisateur transcende cette imagerie chic pour créer une ambiance oppressante, glissant avec aisance de la chronique de mœurs au thriller horrifique. Il est bien aidé par la photo sophistiquée de Natasha Braier, les décors kubrickiens d'Elliott Hostetter, les costumes avant-gardistes d'Erin Benach, la musique envoûtante de Cliff Martinez et surtout le montage elliptique de Matthew Newman, qui a suggéré des modifications au scénario coécrit par Polly Stenham, célèbre dramaturge britannique, et Mary Laws, auteure américaine en pleine ascension. Notons que le film établit de troublantes correspondances avec d'autres œuvres de la sélection officielle, du regard désabusé sur Los Angeles (The Nice Guys) au portrait d'une ado qui change de vie (American Honey), en passant pas le goût pour la fantasmagorie gore (Elle) ou le traitement du cannibalisme (Ma Loute)... Si The Neon Demon est tout sauf un film aimable et confortable, il confirme la singularité d'un auteur qui refuse l'art consensuel et demeure l'un des créateurs les plus doués de sa génération.

Gérard Crespo


1h57 - États-Unis - Scénario : Nicolas WINDING REFN, Mary LAWS - Interprétation : Elle FANNING, Abbey LEE, Keanu REEVES, Christina HENDRICKS, Jena MALONE, Bella HEATHCOTE, Alessandro NIVOLA, Jamie CLAYTON.

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