La Mort de Louis XIV
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Chronique d’une mort en direct Août 1715. À son retour de promenade, Louis XIV ressent une vive douleur à la jambe. Les jours suivants, le roi poursuit ses obligations mais ses nuits sont agitées, la fièvre le gagne. Il se nourrit peu et s'affaiblit de plus en plus. C’est le début de la lente agonie du plus grand roi de France, entouré de ses fidèles et de ses médecins.Après avoir évoqué Don Quichotte (Honor de cavalleria), les Rois mages (Le Chant des oiseaux), et le célèbre séducteur vénitien Casanova (Histoire de ma mort), le cinéaste catalan s’intéresse aux derniers instants d’une figure historique majeure de l’Histoire de France, puisqu’il s’agit ni plus ni moins du Roi Soleil, Louis XIV (qui régna de 1643 à 1715). S’inspirant des Mémoires de Saint-Simon et de celles du marquis de Dangeau, Albert Serra met en scène brillamment l’agonie célèbre du roi, réalisant par là même une œuvre fascinante et magnifique, tel un tableau de Raphaël (référence volontairement citée par le metteur en scène). Excepté la scène d’ouverture, très belle, où l’on découvre un Louis XIV en fauteuil roulant qui se promène dans les jardins de son palais, c’est bien à un huis-clos que nous convie Serra : le décor visible durant tout le film par le spectateur sera celui de la chambre du roi. Pourtant jamais, à aucun moment, le film ne devient ennuyeux, bien au contraire. Tourné en plans fixes (mais sans être figé), au plus près des personnages et du roi, dans une ambiance feutrée (mais pas glaciale), le film réussit à retranscrire la vie de Cour et ses rituels, mais aussi ce moment très intime et tout à la fois macabre. Médecins, courtisans et religieux sont au chevet du souverain dont l’agonie ne nous sera pas épargnée, grâce à certains détails (les cris de douleur du roi, sa jambe qui noircit de plus en plus du fait de la gangrène…). L’une des forces du long métrage, qui s’apparente autant à la fiction qu’au documentaire, est le refus de l’émotion à tout prix, du sensationnalisme et des bons sentiments. |
Le spectateur accompagne alors la mort de celui qui régna très longtemps sur le royaume de France. Il est d’ailleurs frappant de voir le parallèle entre les souffrances de celui qui n’est pas un homme ordinaire (jusque dans la mort) et la figure même du roi, sacrée, et ses pouvoirs qui ne peuvent empêcher l’inéluctable (qui survient le 1er septembre 1715, après une semaine de souffrance). Toutefois, nous découvrons un roi digne, lucide presque jusqu’au bout, comprenant que son heure est venue et qui tient à inscrire sa mort dans toute sa dimension sacrée. À ce titre, la performance de Jean-Pierre Léaud, immense comédien qui a reçu une Palme d’honneur lors de cette édition cannoise, est à signaler tant il incarne à merveille le roi qui se meurt. Il est littéralement le Roi Soleil. « Jean-Pierre et moi nous nous sommes très bien entendus dès la première rencontre. Nous partagions un même sens esthétique et moral de la vie. J’aimais son intégrité, je l’admirais. Tout s’est déroulé de manière très naturelle. Et du même coup, je n’ai ressenti aucune pression vis-à-vis de sa carrière extraordinaire », précise Albert Serra dans les notes d’intention. Les autres comédiens sont également remarquables : citons volontiers Marc Susini qui incarne Blouin, le valet, ou encore Patrick d’Assumçao, dans le rôle du médecin du roi, Fagon, obstiné, ignorant et refusant de voir la réalité en face. La médecine de l’époque est également pointée du doigt dans des scènes qui pourraient rappeler non sans mal certaines œuvres critiques de Molière, contemporain de Louis XIV (à noter que le film se termine sur l’autopsie du corps du roi). En somme, l’expérience intime proposée par le cinéaste, malgré quelques partis pris historiques, est une vraie réussite, l’un des films les plus fascinants vus à Cannes cette année. La Mort de Louis XIV a obtenu le Prix Jean Vigo 2016 du long métrage.
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1h45 - Espagne, France - Scénario : Albert SERRA, Thierry LOUNAS - Interprétation : Jean-Pierre LÉAUD, Patrick d'ASSUMÇAO, Filipe DUARTE, Irène SILVAGNI, Bernard BELIN, Marc SUSINI. |