Moi, Daniel Blake
I, Daniel Blake
de Ken Loach
Sélection officielle
En compétition
Palme d'or
Mention spéciale Prix œcuménique








Dans les rouages du néolibéralisme anglais...

Pour la première fois de sa vie, Daniel Blake, un menuisier anglais de cinquante-neuf ans, est contraint de faire appel à l’aide sociale à la suite de problèmes cardiaques. Mais bien que son médecin lui ait interdit de travailler, il se voit signifier l'obligation d'une recherche d'emploi sous peine de sanction. Au cours de ses rendez-vous réguliers au « job center », Daniel va croiser la route de Rachel, mère célibataire de deux enfants qui a été contrainte d'accepter un logement à quatre cent cinquante kilomètres de sa ville natale pour ne pas être placée en foyer d’accueil. Pris tous deux dans les filets des aberrations administratives de la Grande-Bretagne d’aujourd’hui, Daniel et Rachel vont tenter de s’entraider…

La Palme d'or attribuée par le Jury de George Miller à Ken Loach, déjà lauréat de la précieuse récompense pour Le Vent se lève, est certes symbolique. C'est un geste autant artistique que politique, qui récompense un film engagé dans le meilleur sens du terme, tout autant que la carrière d'un cinéaste fidèle à ses idéaux d'humanisme. Certes, Moi Daniel Blake n'était pas le film le plus novateur de la compétition officielle 2016 et on peut lui préférer l'inventivité visuelle de The Neon Demon, l'émotion contenue de Toni Erdmann, l'élégance poétique de Paterson ou le romanesque elliptique de Loving. Le film de Ken Loach n'en demeure pas moins très attachant et se présente comme l'un des plus émouvants de sa pourtant riche filmographie. Semi-documentaire sur les dérives libérales du système de redistribution anglais, le film démarre avec punch par la séquence d'un questionnaire médical absurde auquel doit répondre Daniel Blake. Pour avoir droit à une pension de couverture maladie, il doit satisfaire des critères sans rapport avec sa situation cardiaque. Sa seule alternative est de recourir à la caisse d'assurance-chômage qui accepte de l'indemniser au prix d'une inscription ubuesque et à l'unique condition qu'il s'engage à poursuivre une recherche active d'emploi, démarche au demeurant absurde eu égard à sa situation médicale.

Le film excelle à dépeindre l'inhumanité bureaucratique, dans un système qui se refuse à valoriser l'entraide et la solidarité, au nom de la responsabilisation et de la stigmatisation des pauvres, accusés de profiter de l'assistance et de la générosité d'un État-providence. « L’économie de marché nous a inexorablement conduits à ce désastre. Il n’aurait pas pu en être autrement. Le libéralisme favorise le maintien d’une classe ouvrière vulnérable et facile à exploiter. Ceux qui luttent pour leur survie font face à la pauvreté. Et il faut montrer que les pauvres sont responsables de leur condition. C’est soit la faute du système, soit la faute des gens. Comme personne ne veut changer le système, il n’y a pas d’autre choix que d’affirmer que c’est la faute des gens », a déclaré le cinéaste, désireux d'alerter les consciences. Mais loin d'être lourdement didactique, Moi Daniel Blake est un joli conte à la Capra (l'optimisme en moins), lorsque le cinéaste s'attache aux rapports amicaux entre Daniel et son entourage. C'est d'abord la relation de voisinage avec un jeune Noir, enfoncé dans un trafic de chaussures de sport, irrespectueux des règles d'hygiène dans son immeuble, mais qui se pliera en quatre pour l'aider dans ses démarches. C'est ensuite et surtout le lien affectif avec Rachel, qui pourrait être sa propre fille, mais avec laquelle semblent se tisser des liens plus ambigus. Et l'on retrouve au détour de ces séquences le meilleur Ken Loach, celui qui défendait des chômeurs débrouillards dans Raining Stones, le narrateur des déboires de la touchante Ladybird, sans oublier le conteur sarcastique de Looking for Eric, encore que l'humour soit beaucoup plus discret dans ce dernier opus. Il faut aussi souligner que le cinéaste est bien épaulé par Paul Laverty, son fidèle scénariste, qui a mené une enquête approfondie dans les rouages de la protection sociale et des banques alimentaires, et par son interprète Dave Johns, aussi puissant que Peter Mullan dans My Name is Joe. Au final, Moi Daniel Blake s'inscrit dans la meilleure tradition d'un certain art populaire anglais qui remonte à la littérature de Dickens.

Gérard Crespo


1h40 - Royaume-Uni, France - Scénario : Paul LAVERTY - Interprétation : Dave JOHNS, Hayley SQUIRES, Micky McGREGOR, Dylan McKIERNAN, John SUMNER.

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