La Forêt de Quinconces
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« Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? » Ondine tombe du piédestal amoureux qui la liait à Paul. Maintenant seul, celui-ci devient la proie du désir de Camille : loin d’elle, Paul devient fou. Après avoir lutté contre la folie, Paul se libère de l’enchantement et meurtrit Camille. Il y aura vengeance… Le temps n’est plus où une division stricte des tâches séparait le travail du réalisateur de celui du comédien. Grégoire Leprince-Ringuet, révélé en tant qu’acteur dans Les Égarés d’André Téchiné, se frotte à son tour à la mise en scène, plus proche de la veine auteuriste de Ryan Gosling (Lost River) que des ambitions commerciales d’un Guillaume Canet. Grégoire Leprince-Ringuet avait tourné dans des films aussi divers que Les Chansons d’amour de Christophe Honoré, La Princesse de Montpensier de Bertrand Tavernier et Une Histoire de fou de Robert Guédiguian. L’aura de romantisme qui a entouré ses rôles se retrouve dans son premier long métrage derrière la caméra, basé sur des poèmes personnels. L’originalité du film tient à ses dialogues, composés essentiellement d’alexandrins, et qui donnent d’emblée à l’œuvre un décalage touchant. La convention est similaire à l’utilisation du chant dans Les Parapluies de Cherbourg et le spectateur adhère vite au dispositif, qui sombre rarement dans la préciosité ou l’exercice de style. La ronde des amours, la malédiction des sentiments et la souffrance affective empruntent beaucoup à la littérature, dont la tragédie antique et le théâtre de Racine ; mais le souffle d’autres dramaturges et poètes est présent en filigrane, de Hugo à Valéry en passant par Verlaine, Cocteau ou Prévert. Le personnage de la sœur (Marilyne Canto) établit ainsi une complicité comparable à celle qui unissait Les Enfants terribles, quand un mendiant sentencieux (Thierry Hancisse) fait écho au clochard prophétique (Jean Vilar) dans Les Portes de la nuit. |
Ajoutons à cela l’ombre manifeste des auteurs de la Nouvelle Vague dont Demy ou le Rohmer des Amours d’Astrée et de Céladon et on pourrait penser que l’ami Grégoire croule un peu trop sous les références. Ce serait sous-estimer le recul et la finesse d’un jeune auteur qui réussit à se réapproprier ces influences. « Avec les vers non chantés, je crois qu’on peut aller vers une certaine complexité du rapport […] Les personnages s’expliquent, se disputent, argumentent. Et ça me plaisait qu’on puisse rattacher la versification à la dimension fantastique du film. Les vers invitent le spectateur à ouvrir son imagination », a déclaré Grégoire Leprince-Ringuet. Cet équilibre entre l’onirisme et un romanesque psychologique, s’il est loin d’être unique au cinéma, est ici d’une bonne tenue, et l’auteur joue habilement de plusieurs contrastes : entre jour et nuit, ville et nature, réalité et rêve, ciel et lac, sans oublier l’opposition entre les deux figures féminines que campent Pauline Caupenne (Camille) et Amandine Truffy (Ondine). Sans doute la durée du film (près de deux heures) finit-elle par engendrer une lassitude et un format moyen métrage aurait davantage convenu. En outre, Grégoire Leprince-Ringuet tire un peu trop la couverture devant la caméra, laissant parfois dans l’ombre d’excellents partenaires dont Antoine Chappey. Mais La Forêt de Quiquonces dévoile un charme réel et on ne saurait qu’encourager son auteur à poursuivre dans la voie du scénario et de la réalisation.
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1h49 - France - Scénario : Grégoire LEPRINCE-RINGUET - Interprétation : Grégoire LEPRINCE-RINGUET, Pauline CAUPENNE, Amandine TRUFFY, Thierry HANCISSE, Marilyne CANTO, Antoine CHAPPEY, Heloïse GODET, Arthur TEBOUL. |