Masculin féminin
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« Les enfants de Marx et de Coca-Cola » Paul (Jean-Pierre Léaud), tout juste démobilisé, est à la recherche d'un travail et milite contre la guerre du Viêt Nam. Il est amoureux de Madeleine (Chantal Goya), une jeune chanteuse qui se préoccupe plus de sa réussite dans le métier que des manifestations sentimentales de son ami. Paul finit par trouver un emploi dans un institut de sondage où il est chargé de faire une enquête sur les principales préoccupations des Français. Il habite provisoirement chez deux de ses amies... Très librement inspiré de deux nouvelles de Maupassant, Masculin féminin est l'une des œuvres de transition dans la carrière de Godard entre sa période créative faste (clôturée par Pierrot le Fou) et une série de films militants radicaux dans leur forme, qui le couperont d'une partie de son public. Deux ans après Une femme mariée : Suite de fragments d'un film tourné en 1964, Godard propose une autre radioscopie des femmes de son époque, même si l'enquête sociologique qui sert de prétexte au synopsis se focalise particulièrement sur la jeunesse. Tourné en pleine campagne présidentielle (contexte explicitement cité), le film se veut le témoin d'une période charnière qui annonce Mai 68 et sa contestation de l'ordre moral et politique. Les jeunes gens dépeints par Godard sont ces « enfants de Marx et de Coca-Cola », profitant des richesses matérielles d'une société de consommation, écartelés entre l'attrait pour le bien-être petit bourgeois véhiculé par l'american way of life et une remise en cause des modes de vie. |
Le film est à cet égard, avant La Chinoise, un document passionnant sur le milieu des années soixante, sa vague yéyé, ses doutes, et les valeurs ambiguës de la nouvelle génération. Une séquence emblématique montre ainsi une jeune fille répondre à une enquête en plan fixe. Elle a obtenu ses deux bacs mais interrompu ses études à la suite d'un concours de beauté, parle avec imprécision de la régulation des naissances, ignore si le socialisme est préférable au capitalisme, et s'avère incapable de citer un pays en guerre... en plein conflit du Viêt Nam. Évoquant sans détours des sujets comme la prostitution ou l'avortement, Masculin féminin fait aussi écho à Enquête sur la sexualité, réalisé un an plus tôt par Pasolini, et dont la problématique est élargie. En même temps, Godard traite dans le style décalé qui est le sien la relation sentimentale d'un couple aussi mal assorti que Jean Seberg et Jean-Paul Belmondo dans À bout de souffle. Le jeu somnambulique de Léaud fait ici merveille, et l'acteur trouvait en Godard un second père de cinéma. Le sentiment de fraîcheur qui émane de Masculin féminin est intact un demi-siècle après sa sortie, et son savant dosage de scénario travaillé et d'improvisation, de fiction et de reportage, d'humour courtois et de digressions potaches, en font l'un des films les plus séduisants et accessibles du réalisateur. L'œuvre a été numérisée et restaurée à partir du négatif original par Éclair, et l'étalonnage supervisé par Willy Kurant, directeur de la photographie du film, que Godard avait préféré à son habituel collaborateur Raoul Coutard. Gérard Crespo
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1966 - 1h50 - France - Scénario : Jean-Luc GODARD, d'après les nouvelles "La Femme de Paul" et "Le Signe" de Guy de Maupassant - Interprétation : Jean-Pierre LÉAUD, Chantal GOYA, Marlène JOBERT, Michel DEBORD, Catherine-Isabelle DUPORT. |