Drôles
d’oiseaux
Joué et rejoué en ouverture institutionnelle de chaque film de la sélection officielle,
le Carnaval des animaux fut plus que jamais de circonstance pour ce Festival
2004 majoritairement animalier, avec une mention spéciale décernée aux canards
dans une ferme des célébrités très haut de gamme.
Il y eut aussi des rivières et des ricochets, des forêts et des grottes, des
chorales et autres opus musicaux, des écrivains et des éditeurs, des réflexions
poussées sur le temps et sur la mort.
« Etre ou ne pas être, c’est pareil »
Quoique… Monsieur
Esfandiar, laveur de morts de son état, réfléchit sérieusement à son immortalité (Bitter
dream) et, au cas où, met en scène sa propre mort. La mort, dont Nelly
s’ingénie à mettre
les rituels en pièces (A ce soir), obsession tout entière diffuse
dans les eaux d’un fleuve qui n’atteint jamais la mer (The River’s end),
ennemi qui guette au coin de la noirceur d’un bois (Hotel), invité inattendu
(Calvaire).
« C’est
les Dix petits nègres ou quoi ? »
La mort frappe aussi par vengeance : ourdie
par Paul Vecchiali en personne sur les membres de l’Avance sur Recettes (A
vot’ bon
cœur), accommodée en plat qui se mange froid par la légitime de Michel
Arc (L’Après-midi
de M. Andesmas), énigmatique et finalement si évidente (Old boy), évidente
mais réversible (L’Odeur du sang), accomplie par des gestes qui dépassent
la pensée
(Meancreek), démonstratrice d’un pire qui reste à venir (Kill
Bill vol. 2).
« Amédée
ou comment s’en débarrasser »
Remplaçons Amédée par Abu Shukri et Ionesco par
Tawfik Abu Wael : nous pouvons dès lors attribuer cette préoccupation récurrente à l’entière
famille dudit Shukri et à sa soif de se libérer du père dont le joug devient
insupportable (Atash). Guerre de l’eau, soif d’exister à part entière, mais aussi
guerre des médias aux mains de flics et voyous (Breaking news), fatalité de l’histoire
dont il faut s’affranchir pour qu’explosent simplement mais ô combien bruyamment envie
de vivre et désir d’aimer (La Vie est un miracle). Amours, vengeances… les choses
se compliquent lorsque l’arbitrage des dieux s’en mêle (Troie) ou
encore d’inviolables
codes de conduite (House of flying daggers), mettant en scène des guerriers magnifiques
sur lesquels plane l’inévitable spectre du sacrifice. Face à ceux qui en sont
les acteurs, d’autres en sont les victimes, humbles, massacrées dans leur chair
pour un type de guerre malheureusement universel (Oh uomo), irréductible aux
leçons de l’Histoire et sans cesse ranimé par la bêtise et la cupidité humaines
(Fahrenheit 9/11)… Bush "dobel you" ou comment s’en débarrasser.
« C’est
bon pour les affaires, malheureux pour les gens »
Les histoires d’argent sévissent en
Suisse pour cause d’héritage incongru (Bienvenue en Suisse), piègent un malchanceux
et l’enferment dans une inexorable solitude (Les conséquences de l’amour),
conduisent un écrivain aux pires compromissions assassines (Je suis un assassin).
L’avidité d’une
bande de losers se heurte à la force inaltérable de l’honnêteté (The
Ladykillers),
celle d’un "winner" cède tout à la vanité d’une mère et casse le mythe d’un monstre
sacré du cinéma (The Life and death of Peter Sellers).
« Si jamais tu échappes à ton
passé, viens me retrouver »
Au message adressé par Loulou, éperdument amoureuse
d’un M. Chow irrémédiablement enchaîné aux souvenirs d’un pays où rien ne
change (2046), répondent les cris désespérés d'Or et ses dernières
forces pour arracher sa mère à la fatalité qui menace (Mon trésor),
ceux qu’un enfant muet adresse à sa
mère pour mettre fin à une fuite éperdue devant la réalité (Dear Frankie).
Retour aux sources, résurgences d’une vie antérieure, toutes les tentations
seront vaines face à l’amour authentique que voue Fiona à son ogre préféré (Shrek
2),
démarche
beaucoup moins évidente lorsqu’elle s’accomplit au Far Far East et que le
couple laisse place à un trio (La Femme est l’avenir de l’homme)… Encore
plus délicate
quand le triangle initial s’assortit de la puissance trois, multipliant les
facettes d’une histoire d’amours qui n’en est qu’une (La Mauvaise éducation).
« Je suis
une étrangère de partout »
Naïma et Zano, couple épatant, cavalent après leurs
repères (Exils) ; Emily, ex-junkie privée de son fils, cavale après
sa vie (Clean) ;
la toute jeune "elle", alias Isild Le Besco, cavale tout court et toute
seule (A tout de suite). Road, sea, forrest, land movies… Sur la
route de Ten et autres
Goût de la cerise, Kiarostami pose en dix leçons les jalons de son cinéma différent
(Ten on Ten). Sur celle des vins Nossiter pointe les chemins inexorables de la
mondialisation (Mondovino). En forêt tropicale, Keng et Tong se traquent mutuellement
et entrent dans la légende (Tropical malady). En prélude à un mythique parcours
révolutionnaire, Ernesto Guevara, pratiquant le voyage pour le voyage, s’initie
au rêve d’une fédération des États d’Amérique Latine (Carnets de voyage).
« J’ai
joué le jeu, mais je n’en ai pas inventé les règles »
Hardi, lui aussi a cru
en son temps aux lendemains qui chantent jusqu’à ce que l’âge et la vie l’entraînent
tout naturellement vers d’autres directions (The Edukators). Cette jeunesse qui
croit encore à un idéal, quel qu’il soit, a aujourd’hui tendance à abandonner
ses prérogatives pour une passivité "TV-pizza" envahissante (Temporada
de patos),
tandis que des aînés plus nantis se laissent enfermer dans un pessimisme destructeur
(Comme une image). Selon les continents, les drames sont affaire d’individualité :
s’éveiller au désir sexuel (La Sainte fille), assumer une grossesse précoce (Brodeuses),
guérir d’une maladie infamante (The Woodsman). Plus loin de chez nous, ils prennent
l’ampleur de civilisations entières : l’écart béant entre pauvreté et richesse
affiche sa dualité (Machuca) ou est abordé du seul côté de ceux qui n’ont d’autre
choix que la survie au jour le jour, dont certains se sortiront plus (Schizo)
ou moins (Woman of breakwater) bien…
Marie-Jo Astic |