Cannes 2009 : la valse des grands noms
Commenter des films avant de les visionner n'est pas un exercice aisé, tant on est influencé par nos représentations et le passé des cinéastes, et tant nous ne pouvons, à l'avance, préjuger de la réussite des films. Pronostiquer à priori la présence d'un réalisateur à un palmarès n'est pas non plus une tâche facile. Nous nous y risquerons toutefois, avec maintes précautions et sous certaines hypothèses...
Cannes, 62e... Le Festival des paillettes et des stars accueille cette année, pour la sélection en compétition, un lot de réalisateurs primés dans le monde, déjà reconnus pour la plupart, et presque tous habitués à la Croisette. Une sélection qui ressemble d'ores et déjà à "Qui est le meilleur réalisateur du monde?" tant les grands noms y affluent. On notera la présence de trois femmes derrière la caméra, seulement deux films américains, une pléïade de films asiatiques (mais toujours pas de cinéma africain...), et quatre films français d'envergure.
PEDRO ALMODOVAR : Étreintes brisées
C'est après une masse de films présentés en Compétition et tous adorés par le public et la critique internationale que l'un des plus grands cinéastes espagnols (pour ne pas dire le plus grand), aborde à nouveau sérieusement Cannes, après avoir loupé les Palme(s) d'Or qu'il a pourtant toujours méritées. Souvenons-nous de Tout sur ma mère, Volver, voire de La Mauvaise éducation. On peut parier sur son grand nom pour une Palme d'Or ibère ; depuis le temps, cette année pourrait enfin être la bonne pour remporter le pactole.
ANDREA ARNOLD : Fish Tank
Petite nouvelle prometteuse dans le cinéma anglais, Andrea Arnold avait impressionné la Croisette il y a trois ans avec Red Road, formidable récit de deuil d'une indéniable puissance formelle. Et si Fish Tank n'a que très peu de chance de remporter la Palme (à moins qu'il s'agisse d'un coup de maître, comme son premier film !), les acteurs pourraient créer la surprise : Michael Fassbender, remarqué pour son interprétation ahurissante dans Hunger, vu l'année dernière en section parallèle à Cannes - et lauréat de la Caméra d'Or - , et Kierston Wareing, révélée dans le dernier Ken Loach en date. Ken Loach à qui Andrea Arnold devra donc un grand merci si son actrice remporte le Prix d'interprétation ! À noter que cette jeune pousse de la réalisation britannique concourra donc pour la deuxième fois au côté dudit maître Loach, après que le cru 2006 ait opposé Red Road au Vent se lève...
JACQUES AUDIARD : Un prophète
La dernière Palme d'Or française remonte à... il y a un an. Une deuxième Palme d'affilée donnerait au festival des relans patriotiques pas forcément très appréciés là où la sélection a justement choisi un certain nombre de films asiatiques. Mais le cinéma de grande qualité qu'a créé Audiard auparavant (Sur mes lèvres, De battre mon cœur s'est arrêté) laisse envisageable une belle récompense (mise en scène, ou Grand Prix). Wait and see...
MARCO BELLOCHIO : Vincere
Adulé par Cannes, le réalisateur italien qui a fit couler beaucoup d'encre avec Le Diable au corps revient ici avec l'Histoire, les secrets, et signe une fresque anti-populaire qui compte bien remettre en jeu les notions abstraites de ''reconstitution'' . Marco Bellochio retrouvera-t-il l'inspiration du Saut dans le vide, du Sourire de ma mère, et du Metteur en scène de mariages ? Son dernier film, si l'on suit la logique de Cannes 2008, et sous réserve de réussite, pourrait être un sérieux prétendant à la Palme d'Or, l'Italie étant, avec Gomorra et Il Divo, au plus haut des colonnes et des paris cinématographiques.
JANE CAMPION : Bright Star
Bright Star a l'allure d'un nouveau grand film de l'incroyable Jane Campion, déjà palmée pour La Leçon de piano en 1993. Une histoire d'amour comme elle seule sait les conter, un drame historique au casting so english prometteur...
ISABEL COIXET : Map of the Sounds of Tokyo
Première sélection à Cannes pour la réalisatrice espagnole auteure des très beaux Ma Vie sans moi et La Vie secrète des mots. Un thriller dramatique qui s'annonce mystérieux (autant par son titre que on casting et son synopsis). Alors que son précédent film, Elegy, aurait pu paraître à Cannes à la place de ce Map of the sounds of Tokyo, les distributeurs ont décidé de ne pas le sortir en salles. Un sort cruel qui, espérons-le, ne sera pas celui de ce film pour le moins intriguant...
XAVIER GIANNOLI : À l'origine
L'un de nos jeunes-grands réalisateurs français revient en Compétition après le splendide Quand j'étais chanteur pour une autre histoire d'amour pas comme les autres. À défaut d'une Palme (la France a déjà été récompensée l'année dernière), le film pourrait parier au moins sur un Prix du Jury révélant ainsi un cinéaste doué aux yeux d'un certain nombre. François Cluzet pourrait aussi être l'un des prétendants au Prix d'interprétation masculine.
MICHAEL HANEKE : Le Ruban blanc
Réalisateur controversé, auteur des terribles Funny Games et La Pianiste, l'autrichien s'attaque au nazisme dans un film en N&B, susceptible d'en bouleverser et d'en terrasser plus d'un. Car tout le monde connaît le cinéma extrême (et d'une grande qualité) de Michael Haneke (Grand Prix et double prix d'interprétation en 2001 pour La Pianiste, Prix de la mise en scène en 2005 pour Caché). Pourtant, ce dernier ayant offert à Isabelle Huppert l'un de ses plus beaux rôles dans La Pianiste, présenté en compétition en 2001 (pour lequel l'actrice reçut le Prix d'interprétation féminine donc), il paraît délicat pour celle-ci de récompenser ce qui pourrait s'apparenter à un ami. Auquel cas le copinage serait pointé du doigt. Mais l'on ne sait jamais, d'autant que Le Ruban blanc fait preuve d'un mystère potentiellement alléchant, intriguant, fascinant.
ANG LEE : Taking Woodstock
Ang Lee est très fort ; deux Ours d'or à Berlin (Garçon d'honneur, Raison et sentiments), deux Lions d'or à Venise (Le Secret de Brokeback Mountain, Lust Caution), Un Oscar du meilleur film et du meilleur réalisateur (Tigres & Dragons), un Golden Globe du meilleur film (Raison et sentiments)... il ne manque, évidemment, qu'une Palme d'Or. Mais ce récit de libération sexuelle et de rébellion soixante-huitarde a-t-il d'assez forts arguments face aux mastodontes de la compétition?
KEN LOACH : Looking for Eric
Déjà palmé et reconnu pour sa carrière, Ken Loach fait son retour dans une comédie dont on verra si elle est plus qu'un opus mineur. Du moins, rien qui n'ait vraiment l'envergure d'une précieuse récompense... reste à voir si le cinéaste britannique sait encore étonner... Rappelons que Loach est tout de même l'auteur de Kes, Raining Stones, Land and Freedom, My Name is Joe ou Sweet Sixteen.
LOU YE : Nuit d'ivresse printanière
Sélectionné en 2003 dans la section officelle avec Purple Butterfly, et revenu à Cannes en 2006 pour Palais d'été (Une jeunesse chinoise en vf), Lou Ye est un cinéaste chinois emprisonné par le système de son pays, qui interdit pratiquement la projection de tous ses films en salles. Suivi d'une réputation sulfureuse, ce nouvel opus s'annoncerait plus érotique encore que le déjà débridé Palais d'été. La France n'ayant pas peur de la censure, et notre présidente du jury aimant les films de chair, cette histoire d'amour et d'obsession, sous réserve de réussite, pourrait avoir sa place au palmarès.
BRILLANTE MENDOZA : Kinatay
Si l'on ne sait rien pour l'instant de ce film, l'insistance avec laquelle Cannes invite Mendoza (déjà présent l'année passée avec Serbis, faux-film provoc mais vrai cinéma vital et social) pourrait aboutir à une récompense (le Prix du Jury paraît plausible). Mais serait-ce cette fois le film-choc de Mendoza que l'on nous promet depuis si longtemps? Venu de la publicité, le cinéaste philippin a pris l'habitude de partager spectateurs et critiques (à l'exception du consensuel Foster Child/John John) et tourne à la vitesse de l'éclair ; en plus de Kinatay, deux autres de ses films sont prêts à sortir en salles, si la distribution européenne lui sourit.
GASPARD NOÉ : Soudain le vide
Il y en a qui adorent, d'autres qui détestent ; on ne peut en tout cas pas rester de marbre face au cinéma de Gaspar Noé, qui n'a pas fini de choquer et d'électriser (Cannes tremble encore de son Irréversible). L'auteur de Seul contre tous semble effectivement ne pas lâcher l'affaire du chaos cinématographique, du mouvement incontrôlable. Jusqu'aux dernières nouvelles, le festival de Cannes (à comprendre la critique, les festivaliers et le jury), n'aime pas ça. Mais l'originalité du thème pourrait séduire, la maîtrise de la mise en scène aussi (à prévoir, un prix de la mise en scène, contre toutes attentes). Ceci dit, les chances sont fortes pour que le trip de Noé tourne plus à la bouillie indigeste d'images et de sons à la durée excessive (2h30), qu'au chef-d'œuvre formel. Le choix d'acteurs quasi-inconnus pour la plupart est à surveiller de près cependant.
PARK CHAN-WOOK : Thirst, ceci est mon sang
On imaginait difficilement un film fantastique récompensé au festival de Cannes pour le moment ; mais Park Chan-wook n'est pas n'importe qui dans le cinéma sud-coréen (qui ne se souvient pas d'Old Boy, Grand Prix au festival de Cannes 2004 ?), et de plus, les premières images nous promettent un grand thriller dramatique sur fond de religion, de sexe, et de vampires, à la mise en scène plus qu'inspirée. Ce qui nous laisse donc imaginer un éventuel Prix...
ALAIN RESNAIS : Les Herbes folles
À titre mystérieux, synopsis mystérieux. Aujourd'hui chantre d'un cinéma théâtral parodiant tant le vaudeville que le mélodrame, Resnais convoque une fois de plus des étincelles du cinéma français (Devos, Vuillermoz, Amalric, Dussollier...) et rempile pour décrocher une Palme d'Or qu'il n'a jamais eue. Sachant que le cinéaste a commencé sa carrière en 1959 (Hiroshima mon amour), on peut prévoir une éventuelle récompense pour l'ensemble de la carrière de ce réalisateur qui obtint le Grand Prix en 1980 avec Mon oncle d'Amérique.
ELIA SULEIMAN : Le Temps qu'il reste
Après avoir charmé Cannes en 2002 avec Intervention divine (Prix du Jury), Elia Suleiman explore une nouvelle fois avec ce troisième long-métrage l'identité palestinienne, avec l'humour et la fantaisie qui le caractérise. Une sorte de Tati palestinien qui, entre rires et larmes, pourrait bien (re)créer la surprise cette année lors du palmarès.
QUENTIN TARANTINO : Inglorious Basterds
Sauf si Isabelle Huppert est une femme remarquable, non-vindicative et d'une très bonne foi, Tarantino ne devrait même pas prendre la peine de faire le déplaçement jusqu'à Cannes, vu les déconvenues que les deux ont eues (1ère version ; Huppert ayant littéralement été virée du tournage de cet Inglourious Basterds dans lequel elle devait initialement jouer, faute de présence et de diplomatie, ou, 2ème version, Huppert ayant quitté le plateau, ne pouvant plus supporter Q.T.). Bref, on aurait aimé que tout cela soit sans rancunes, mais malheureusement, malgré tout l'espoir que l'on met sur le déjà-palmé-par-le-génialissime-Pulp Fiction, les chances d'accès au Palmarès sont minces, voire inexistantes. Ce qui n'empêche que le film a l'air très bon ! Et c'est l'essentiel. Tarantino était déjà présent à Cannes en 2007 avec Boulevard de la mort.
JOHNNIE TO : Vengeance
Avec un tel casting, un tel titre et une telle promotion, le nouveau Johnnie To est-il plus proche du grand cru ou du nanar ? Si la deuxième hypothèse semble à priori l'emporter, tout le monde connaît le talent de Johnnie To, ses mises en scènes exubérantes et son style visuel inégalable. N'oublions pas les fulgurances de Election ou Breaking News. En bref, Vengeance sera peut-être le film qui passe ou qui casse... mais qui, en tout cas, pour le moment, paraît un petit peu déplacé pour la course à la Palme d'Or.
TSAI MING-LIANG : Visage
Un film dans le film qui s'annonce comme un admirable et passionnant prototype de la collaboration artistique entre l'Asie et la France. Un incroyable casting d'où rayonnent les plus grandes légendes françaises (Jean-Pierre Léaud, Mathieu Amalric ou encore Jeanne Moreau). La teneur sulfureuse et intellectuelle des récits de l'auteur de Et là-bas quelle heure est-il ? séduira-t-elle un jury présidé par Isabelle Huppert ?
Jean-Baptiste Doulcet
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