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TOUS LES FILMS DE CANNES 2012

Festival de Cannes Quinzaine des réaliateurs semaine de la critique

PARLEZ-MOI DE LA PLUIE

La pluie, loin de se contenter de détremper les marches du Palais, fut presque de tous les films, inondant abondamment la planète sans pour autant la débarrasser des déchets qui s’y amoncellent. Averses diluviennes, tempêtes, ouragans, inondations… geysers de sang, avalanches de coups, flots de paroles, pluies de verre brisé, de feuilles, de plumes, de vêtements… tandis que, privés de tout pathos superflu, les yeux furent en revanche priés de retenir leurs pleurs.

Amour anyways
D’une pureté absolue, l’Amour de Georges pour Anne défie le temps, la maladie et la mort, celui de Sam et Suzy tient obstinément tête au monde si bizarre des adultes (Moonrise Kingdom), le lien inextinguible entre Laurence et Fred résiste avec ténacité aux codes sociétaux et à la normalité (Laurence anyways).
Malgré le doute qui s’insinue peu à peu sur la réciprocité de sa passion, Murielle aime Mounir à perdre la raison. Du haut de ses six ans, Hushpuppy, se bat de toutes ses forces pour la survie de son père (Les Bêtes du Sud sauvage), tandis que, malgré ses cinq ans, Klara entraîne par amour Lucas à sa perte (La Chasse).

Flash-back
La vie commune a eu raison de l’amour d’Éric pour Camille, qu’une cuite de Nouvel An ramène à ses années quatre-vingts où naquirent ses premiers émois de lycéenne (Camille redouble). La jolie comédie romantique laisse place aux remontées dans l’Histoire : aux débuts du XXe siècle et des mariages arrangés par la bourgeoisie avec les désamours de Thérèse Desqueyroux ; aux années cinquante et à la beat generation de Jack Kerouac (Sur la route) ; en 1988 avec la campagne du No à la réélection de Pinochet au Chili.

Société
Retour vers les images-clés de notre monde comme il va : pathétique et avilissant pour les accros à la Reality cathodique, inquiétant et déréglé pour les victimes consentantes de la starisation à outrance (Antiviral). Dans un univers séoulien glacial et déconnecté, L’Ivresse de l’argent engendre des monstres, tandis que le spectre du capitalisme accompagne la chute inéluctable des prétentions exorbitantes d’un richissime trader new-yorkais (Cosmopolis). La crise et la récession touchent aussi les bas-fonds de la pègre, où Cogan, tueur à gage sardonique, impose son style et sa devise d’une Amérique qui « n’est pas un pays, mais un business ». Une Amérique différente émerge cependant avec les lycéens quelque peu primaires mais attachants du Bronx qui déclinent tout au long de la ligne 66 The We and the I. Mais c’est plutôt du côté de Glasgow, puis aux fins fonds des Highlands, qu’il faut chercher enfin un petit mais salutaire pas pour l’humanité distillé par La Part des anges.

Vacances
Rompre avec le quotidien et le ciel gris d’Autriche, voilà qui fait rêver Teresa laquelle s’envole vers un de ces Paradis all inclusive, voire beaucoup plus si affinités. L’Angleterre sait elle aussi appâter avec ses attrape-touristes, Sightseers qui, fort susceptibles sur certains détails, peuvent s’avérer mortellement atrabilaires. Rien à voir avec la légèreté et la nuance d’Anne, tri-transplantée In another country, petit village balnéaire de Corée du Sud propice à toutes les audaces scénaristiques.

Perversité
De triste, schizophrène ou attentiste, la chair vient aussi attiser les braises de la jalousie où se débat le trio infernal de Mystery, tandis que des Liaisons dangereuses édulcorées investissent le Shanghai des années trente. En une parabole sur le couple transbordé de la ville à la campagne, d’autres jeux de l’amour déglingués mettent sur la sellette Post tenebras lux et un prix de la mise en scène de toute évidence raflé à Jacques Audiard.

Mises à l’épreuve
Ainsi, De rouille et d’os sublime ses personnages, dont Stéphanie, confrontée à sa chair dévastée, dans un mélodrame parfaitement assumé. Même Après la bataille de la place Tahir, il faudra du temps au peuple égyptien, malgré tous les efforts de Reem, pour tirer les leçons de l’Histoire et confirmer le sens originel du Printemps arabe. En Algérie, une chance est offerte à Rachid, Le Repenti, de racheter sa faute et permettre à une famille de faire son deuil. Sur les bords su Mississippi, Ellis est mis à l’épreuve du monde adulte tout autant que du mensonge, personnifié par l’étrange Mud. Et c’est au Kazaksthan que nous retrouvons le héros de Crime et châtiment, étudiant à la triste figure, confronté à la dostoïesvskienne question de l’accomplissement du mal dans la mesure où il est générateur d’un bien.

Cinéma
C’est une autre leçon de cinéma, cette fois radicalement éloignée de l’épure bressonnienne d’Omirbayev, que donne Leos Carax à travers les neuf stupéfiants rendez-vous de tournages de Holy Motors. Alain Resnais propose un merveilleux éloge d’actrices et acteurs conviés à une mystérieuse projection (Vous n’avez encore rien vu). Et Andrew Braunsberg, une interview-miroir à Roman Polanski, intelligente mise en parallèle par Laurent Bouzereau entre la vie et la filmographie du réalisateur le plus médiatisé au monde.

Fratries
L’état des lieux se poursuit par une mise au ban déjantée des normes asservissantes de la société de consommation par Not, bientôt rejoint par son frère Dead (Le Grand Soir). La soif de rupture touche également Lorenzo, tout à sa solitude brouillée par l’intrusion inopinée de sa demi-sœur Olivia (Moi et Toi). Au cœur de Paris, Sabrina défend bec et ongles son amour pour Dorcy, Noir de son état, face à ses quarante frères musulmans (Rengaine). De l’autre côté de la Méditerranée, Hamid entraîne son cadet Yachine sur les voies de l’islamisme radical pour se faire Chevaux de Dieu. En Floride, Ward Jansen et son petit frère Jack, Paperboy de son état, cherchent un nouveau souffle à leur carrière journalistique et se mettant au service d’un redoutable condamné à mort. En pleine prohibition, les frères Bondurant, Hommes sans loi et trafiquants, défendent avec âpreté leur territoire et leur business.

Famille
Le cinéma outre-Atlantique a beau cogner dur, à l’instar des deux derniers films évoqués ou encore de Cogan cité plus haut, Lee Daniels, John Hillcoat et Andrew Dominik pourraient bien se constituer en syndicat de la castagne, ils n’arriveraient certainement pas au degré de violence déployée par la dynastie clanique des Gangs de Wasseypur, champions toutes catégories ès méthodes expéditives. Reste un très grand écart à faire pour rejoindre la petite famille d’Armand, quoiqu’également bien agitée par l’enterrement de mémé (Adieu Berthe).

Quelques rires échappés d’une planète hors contrôle… Au passage de la constellation Cannes 2012, avec sa fureur, ses blessures, ses névroses, ses dérèglements, ses paradoxes, ses interminables limousines, reste l’envie de rejoindre Jean-Louis Trintignant lorsque, simplement, il s’en remet à Prévert : « Il faudrait essayer d’être heureux, ne serait-ce que pour donner l’exemple. » (Spectacle, 1951).

Marie-Jo Astic