Le Grand soir
de Benoît Delépine, Gustave Kervern
Sélection officielle
Un certain regard

Prix spécial du Jury Un certain regard


Sortie en salle : 6 juin 2012






C'est la lutte finale

Après Louise-Michel et Mammuth, Benoît Delépine et Gustav Kervern persistent dans la voie d'un cinéma de dénonciation sociale utilisant les ressorts de la comédie bouffonne, avec quelques échappées irréelles qui donnent à leur œuvre une poésie mélancolique et glaciale. Ici, point de recherche d'un hypothétique dirigeant de société offshore ou de tentative pour contacter d'anciens employeurs introuvables afin de compléter un dossier de retraite. Le grand soir relate juste la pitoyable descente aux enfers d'un vendeur licencié qui choisit la voie de la marginalité en rejoignant les errances de son frère aîné, le plus vieux punk à chien d'Europe. Leurs parents, les Banzini, forment déjà un modèle de communauté décalée, avec un restaurant familial guère fréquenté et une conception spécifique des solidarités familiales : la mère décide ainsi de confier son petit-fils, dont elle a la garde ponctuelle, au MacDo du coin, renonçant à assumer une fonction qu'elle n'estime pas être la sienne... L'énormité des situations permet une distance avec le sujet, et les cinéastes évitent les grossissements de traits de La vie est un long fleuve tranquille (Etienne Chatiliez, 1988), dont les personnages s'avéraient être des stéréotypes publicitaires. S'il fallait trouver une influence au film, on citerait un peu tout un pan de la comédie italienne dont Affreux, sales et méchants (Ettore Scola, 1976). Kervern et Delépine ont pourtant leur style spécifique, et l'on pourrait multiplier les séquences déjà d'anthologie :

les caméras de surveillance aliénant le personnel plus que les consommateurs, les discussions avec les clients sur le parking, les efforts désespérés des deux frères pour organiser un grand meeting, sans oublier une truculente consultation de voyant (Gérard Depardieu), prédisant au chômeur l'obtention d'un stage non rémunéré d'aide à domicile et une absence totale de stabilité conjugale. La mise en scène spatiale est en outre cohérente : après les voyages internationaux de Louise-Michel et le road movie de Mammut, Le grand soir se veut un déplacement circulaire autour d'une zone résidentielle et commerciale que la caméra ne quittera jamais. Dans ce décor peu glamour, rassembler des lettres d'enseignes connues pour composer un slogan revendicatif semble le seul geste de contestation possible : même l'immolation suscite l'indifférence d'une population trop pressée de remplir la moitié de son caddie de supermarché. On l'aura compris : Le grand soir est jubilatoire. Il manque juste au tableau le personnage pouvant distiller un malaise macabre, comme la tueuse à gages en phase terminale de cancer de Louise-Michel ou le spectre d'Isabelle Adjani dans Mammuth : sans doute aurait-on alors reproché aux réalisateurs de répéter un dispositif trop bien huilé. Enfin, on remarquera la familiarité avec laquelle Benoît Poelvoorde et Albert Dupontel s'intègrent dans l'univers d'un récit qui semble avoir été écrit pour eux.

Gérard Crespo

 

 

 


1h32 - France - Scénario : Benoît DELEPINE, Gustave KERVERN - Interprétation : Albert DUPONTEL, Benoît POELVOORDE, Bouli LANNERS, Brigitte FONTAINE, Gérard DEPARDIEU, Barbet SCHROEDER, Yolande MOREAU.

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