The We and the I
de Michel Gondry
Quinzaine des réalisateurs (Ouverture)
palme

Sortie en salle : 12 septembre 2012




« Paroles et pas lol… »

Pétrie pendant trois ans avec des élèves d’un établissement scolaire du Bronx, la pâte du projet de Gondry est née du ferment new-yorkais de l’œuvre du cinéaste. Avec Block Party en 2006 puis Be Kind Rewind deux ans après, le réalisateur explore le concept de communauté.

Le dispositif est simple mais astucieux : une galerie d’adolescents pré-adultes – tous magistralement interprétés par eux-mêmes ! – en (presque) total huis-clos lors de leur dernier trajet annuel en bus. Ils quittent le lycée pour rejoindre leurs domiciles après avoir récupéré leurs portables – dans le Bronx, on arrive à faire en sorte que les téléphones restent en dehors de l’établissement scolaire pendant que chez nous, on lutte contre les « iFraudes » ! Avant même que nous ne grimpions dans le bus avec eux, le ton et les timbres claquent : un garçon pique la chaussure d’une fille, la colle sur la vitre avec du chewing-gum pendant que les « caïds » déjà installés au fond du bus harcèlent une vieille dame qui pourrait être leur grand-mère…

Dans cette espèce d’egodrome, tout est bon pour briller aux yeux des autres ou du moins refléter les éclats des collègues pour avoir la satisfaction rassurante d’adhérer au groupe. Le classique « LoL » (Laughing out Loud) qui s’affiche sur tous les écrans est souvent amer et peu rigolo… Alors que certains commencent déjà à descendre du bus, on quitterait bien l’aventure aussi devant tant de méchanceté futile, de cruauté gratuite, de vacuité… mais dont on sait heureusement qu’elle sera le creuset de ce que déroulera ensuite le réalisateur.


Singer un passager affublé d’un bec-de-lièvre, glisser un peu de mayonnaise sur le siège de la copine juste au moment où elle s’assoit, traiter la souffre-douleur grassouillette et LadyGagaïsée de « kilo de boudin dans un sachet de 500 grammes »… tout cela, sur fond de discussions belliqueuses tournant autour du sexe dans un argot parfait, aurait tendance à exacerber un pessimisme inquiet sur l’avenir de ces jeunes. Le portable reprend son rôle tout à la fois d’arme (pas vraiment secrète) et d’une fausse armure contre la vraie communication. Alors que le bus parcourt un Bronx qui restera extérieur et que les sales blagues continuent de fuser à l’intérieur, le groupe se restreint et le titre métonymique The We and the I commence à prendre sens… enfin ! La communauté laisse peu à peu sortir du magma l’individu, les identités s’affichent – les noms ou prénoms remplacent les sobriquets –, les histoires individuelles se racontent et même s’écoutent ! Alors que le Nous laisse la place au Je, l’anecdotique cède le champ à l’universel. Les places qui se libèrent dans le bus sont autant d’espaces que le spectateur peut maintenant occuper. Les points de vue s’enrichissent, la hargne contre l’autre qui cachait mal la haine de soi s’estompe en même temps que la résistance crétinienne sociale liée au groupe

Quel dommage que Michel Gondry nous laisse à ce Terminus un peu gnangnan et démonstratif au regard de cette fin de parcours si subtile et forte ! Il reste que The We and the I est un film long en bouche qui se nourrit du temps qui suit sa projection ; ce n’est pas la moindre de ses qualités.

Jean Gouny


1h43 - Etats-Unis - Scénario : Michel GONDRY, Jeffrey GRIMSHAW, Paul PROCH - Interprétation : Joe MELE, Meghan MURPHY, Alex BARRIOS.

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