The House That Jack Built |
Le chaos règne toujours... États-Unis, années 70. Nous suivons le très brillant Jack (Matt Dillon) à travers cinq incidents et découvrons les meurtres qui vont marquer son parcours de tueur en série. L'histoire est vécue du point de vue de Jack. Il considère chaque meurtre comme une œuvre d'art en soi. Alors que l'ultime et inévitable intervention de la police ne cesse de se rapprocher (ce qui exaspère Jack et lui met la pression) il décide - contrairement à toute logique - de prendre de plus en plus de risques. Tout au long du film, nous découvrons les descriptions de Jack sur sa situation personnelle, ses problèmes et ses pensées à travers sa conversation avec un inconnu, Verge. Un mélange grotesque de sophismes, d’apitoiement presque enfantin sur soi et d'explications détaillées sur les manœuvres dangereuses et difficiles de Jack... Après ses propos polémiques qui lui valurent une exclusion du Festival de Cannes en 2011, Lars von Trier semble avoir purgé sa peine puisque son dernier film a été retenu dans la sélection officielle 2018, même s'il n'a pas été exposé dans la compétition. C'est peu dire qu'il était attendu au tournant, le réalisateur semblant en perte de vitesse depuis l'échec de son diptyque Nymphomaniac qui avait divisé en 2013, et l'avait laissé sur le carreau pendant quatre ans. En œuvrant pour la première fois dans le thriller, Lars von Trier ne cède en rien à une concession commerciale et ne cherche pas à se confronter aux modèles du genre, du Silence des agneaux de Jonathan Demme à Prisoners de David Villeneuve en passant par Zodiac de David Fincher. Le métrage renoue avec sa veine radicale, loin du mélo consensuel qu'était Dancer in the Dark, et mêlant la réflexion métaphysique de Melancholia à l'atmosphère fantastique d'Antichrist, tout en filmant une descente aux enfers (ici au sens littéral) qui fait écho aux turpitudes de l'anti-héroïne de Nymphomaniac. |
The House That Jack Built ne fera pas l'unanimité et agacera certains par ses ruptures de ton, ses autocitations (des extraits de films de von Trier) et sa démesure, quand d'autres se prétendront choqués par son discours ambigu sur la responsabilité morale des artistes et la fascination que semble éprouver le cinéaste pour son personnage d'esthète meurtrier. Nous ne partageons pas ce point de vue, et pas seulement parce que le réalisateur clarifie en fin de compte sa position par le biais du personnage de Verge, conscience morale qui tente de mener Jack sur la voie de la raison. The House That Jack Built est une œuvre culottée, quelque part entre Funny Games et Orange mécanique, et qui confirme que von Trier est un narrateur hors pair, en plus d'être un audacieux créateur de formes. Découpé en cinq segments donnant un échantillon des crimes commis par Jack, suivis d'un épilogue fascinant par son inventivité visuelle, le film est aussi le portrait décapant d'un serial killer dont la personnalité complexe et l'intelligence diabolique feront date, au même titre que Norman Bates dans Psychose ou le criminel à multiples facettes de Split. Matt Dillon l'interprète avec une autorité remarquable et trouve ici son meilleur rôle depuis Drugstore cowboy. Il serait dommage de passer à côté de ce petit bijou qui ne caresse pas le public dans le sens du poil et s'avère bien plus palpitant que Capharnaüm et autres pensums édifiants qui encombrent les écrans. Gérard Crespo
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2h35 - Danemark, Suède, France, Allemagne - Scénario : Lars von TRIER - Interprétation : Matt DILLON, Bruno GANZ, Uma THURMAN, Siobhan FALLON, Riley KEOUGH, Jeremy DAVIES, YOO Ji-tae. |