Mon cher enfant
Weldi
de Mohamed Ben Attia
Quinzaine des Réalisateurs






Père et fils

Riadh s’apprête à prendre sa retraite de cariste au port de Tunis. Avec Nazli, il forme un couple uni autour de Sami, leur fils unique qui s’apprête à passer le bac. Les migraines répétées de Sami inquiètent ses parents. Au moment où Riadh pense que son fils va mieux, celui-ci disparaît… Après Le Challat de Tunis et La Belle et la Meute de Kaouther Ben Hania qui auscultaient des plaies de la société tunisienne, le second long métrage de Mohamed Ben Attia (Hedi, Un vent de liberté) semble s’inscrire dans une veine similaire. Mon cher enfant est tiré du témoignage d’un père de famille qui avait raconté son histoire à la radio tunisienne nationale et traite avec délicatesse un sujet ô combien d’actualité depuis plusieurs années, à savoir la tentation du djihad chez certains jeunes. On se souvient du bouleversant Les Cowboys de Thomas Bidegain, qui relatait la détresse d’un père et de son fils après la disparition de la fille aînée. Sans atteindre ce sommet, le métrage de Ben Attia est loin de démériter. Découpé en deux parties, le film se concentre sur le choc ressenti par Riadh lorsqu’il apprend que Sami est parti soudainement en Syrie. Les certitudes de cet homme au crépuscule de sa vie active sont ébranlées. Il pensait avoir transmis à son fils les valeurs d’intégrité, de respect, de réussite, et d’épanouissement affectif et familial, et ne comprend pas le comportement inexplicable de son enfant. Pourtant des signes du malaise de Sami apparaissaient, au-delà des migraines qui pourrissaient son année scolaire. Le jeune homme souffrait-il de dépression ? En voulait-il à ses parents ? A-t-il subi de mauvaises influences ? Lorsque Riadh décide de prendre l’avion pour la Turquie afin de retrouver son fils, il sait que son objectif sera difficile à atteindre et pressent qu’une page de sa vie est tournée.

Mais il ne lâche rien, du moins en apparence. Le mérite du scénario de Mohamed Ben Attia est de ne surligner aucune intention démonstrative. Le spectateur ne doit d’ailleurs pas s’attendre à une fiction axée sur les réseaux de recrutement des filières islamistes et terroristes, tant le cinéaste préfère explorer les états d’âme de Riadh. Le film rejoint ainsi la galerie des œuvres basées sur une disparition mais souhaitant privilégier le thème de ses effets sur l’entourage : on songe à L’Avventura d’Antonioni, mais aussi au récent Nos batailles de Guillaume Senez. Sur le plan formel, l’épure est privilégiée, et il n’est pas surprenant que l’œuvre ait été coproduite par les frères Dardenne. En fait, Mon cher enfant alterne longs plans-séquence et ellipses, et se permet même de distiller des effets en trompe-l’œil, une belle scène dans des ruines suggérant le doute quant à la véracité de ce que l’on voit sur l’écran. « Le plus difficile était de ne pas tomber dans un manichéisme prévisible. De garder subtilité et délicatesse. Je voulais éviter la facilité d’aller directement dans une condamnation même si elle est tout à fait légitime. Je voulais dépasser ce premier degré de la haine, de la colère, même si, une fois encore, c’est tout à fait logique de ressentir ces sentiments-là », a déclaré le réalisateur. Même si quelques maladresses entachent un peu certains passages (le personnage de la collègue bienveillante, joué par la chanteuse Imen Cherif), Mon cher enfant est hautement recommandable.

Gérard Crespo



 

 


1h44 - Tunisie, Belgique, France - Scénario : Mohamed BEN ATTIA - Interprétation : Mohamed DHRIF, Zakaria BEN AYYED, Imen CHERIF, Mouna MEJRI, Tarik COPTY.

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