La Belle et la Meute |
Justice est faite Lors d'une fête étudiante, Mariam croise le regard de Youssef. Quelques heures plus tard, elle erre dans la rue en état de choc. Commence pour elle une longue nuit durant laquelle elle va devoir lutter pour le respect de ses droits et sa dignité. Mais comment peut-on obtenir justice quand celle-ci se trouve du côté des bourreaux ? Kaouther Ben Hania avait été révélée par Le Challat de Tunis, présenté à la section ACID, et qui avait obtenu le Bayard d’or de la meilleure œuvre au Festival francophone de Namur et une dizaine de prix internationaux. La Belle et la Meute, son second long métrage de fiction, est comme on dit « inspiré de faits réels », à savoir un scandale judiciaire qui fit la une des médias tunisiens il y a quelques années : une jeune femme fut violée par des policiers lors d’une ronde des forces de l’ordre, avant que sa plainte ne soit étouffée par le commissariat. Il fallut la détermination de la victime et l’appui de l’opinion publique pour que le procureur de la République puisse entamer une procédure et faire comparaître les auteurs présumés. Kaouther Ben Hania a adapté le récit de l’intéressée pour une fiction démonstrative : ou comment des représentants de l’ordre public ont pu commettre un acte horrible en espérant l’impunité, le patriarcat et le chantage à l’ordre social suffisant selon eux à éviter toute action en justice. Découpée en plusieurs chapitres numérotés qui structurent le récit, la narration est fluide et ressemble dans sa première partie à un documentaire sur les absurdités bureaucratiques d’un régime encore influencé par les dérives autoritaires : Mariam a besoin d’une pièce d’identité pour consulter le médecin d’une clinique privée ; or, elle a perdu ses papiers lors de l’agression. Se rendant à l’hôpital public, elle ne peut être reçue ni par la gynécologue ni par le médecin légiste qui a besoin d’un mot d’ordre… des autorités policières. |
On nage alors dans un délire administratif qui n’est pas sans évoquer le désordre kafkaïen décrit par un Cristi Puiu dans La Mort de Dante Lazarescu. Le film prend ensuite une autre dimension, basculant vers le thriller lorsque Mariem se retrouve face à ses bourreaux, qui seront prêts à tout pour lui faire retirer sa plainte. Kaouther Ben Hania assume alors son goût pour le cinéma de genre, le calvaire de son héroïne n’étant pas sans évoquer les déboires d’Audrey Hepburn dans Seule dans la nuit ou, à un moindre degré, de Marilyn Burns dans Massacre à la tronçonneuse. « Le film n’est pourtant pas un film d’horreur, il est en effet bien plus proche du cauchemar. Ce qui n’empêche pas les nombreux clins d’œil à un cinéma qui me passionne », a déclaré la réalisatrice. Mais le scénario gagne alors en efficacité ce qu’il perd en subtilité. En grossissant les traits de ses personnages, la cinéaste se la joue Yves Boisset : ainsi les flics sont tous des ripoux (sauf un ou deux), et le corps médical est constitué de soignants indifférents et peu humains, à l’exception d’une infirmière. Si le féminisme et la défense des droits fondamentaux forcent le respect, les traduire par une narration manichéenne n’est peut-être pas la proposition de cinéma la plus séduisante. Par contre, la réalisatrice montre une vraie maîtrise de la mise en scène, les plans-séquences qui assurent l’ossature de la construction réussissant à créer un sentiment d’étouffement et d’oppression. Et l’on est bluffé par le premier quart d’heure qui brouille les pistes et semble nous orienter vers un faux coupable. Au final, La Belle et la Meute est un film recommandable malgré la lourdeur de certains passages.
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1h35 - Tunisie, France - Scénario : Kaouther BEN ANIA, d'après le livre "Coupable d'avoir été violée" de Meriem BEN MOHAMED - Interprétation : Mariam AL FERJANI, Noomane HAMDA, Chedly ARFAOUI, Mohamed AKKARI, Anissa DAOUD. |