Burning |
Le feu et la glace Lors d'une livraison, Jongsu, un jeune coursier, tombe par hasard sur Haemi, une jeune fille qui habitait auparavant son quartier. Elle lui demande de s’occuper de son chat pendant un voyage en Afrique. À son retour, Haemi lui présente Ben, un homme mystérieux qu’elle a rencontré là-bas. Un jour, Ben révèle à Jongsu un bien étrange passe-temps… C’est le grand retour de Lee Chang-dong qui avait déserté les studios de cinéma depuis huit années. Les admirateurs du cinéaste seront a priori surpris de le voir adapter une nouvelle minimaliste du romancier japonais Haruki Murakami. Burning est en effet un film dans lequel les ellipses, les non-dits et l’économie de dialogues contrastent avec les métrages antérieurs du réalisateur, de Peppermint Candy à Poetry, davantage marqués par un scénario « en béton » et une psychologie subtile mais explicite. « C’est une histoire assez mystérieuse mais où, en effet, il ne se passe rien. Cependant […] ce mystère recèle une dimension très cinématographique. On allait pouvoir en faire quelque chose de plus grande ampleur et de plus complexe. Ces trous béants dans l’enchaînement des événements, la pièce manquante qui nous empêche de connaître la vérité, font référence au monde mystérieux dans lequel nous vivons aujourd’hui ». Ces propos confiés à sa coscénariste Oh Jung-mi traduisent donc un tournant dans sa démarche cinématographique. Burning se propose de cerner les relations entre trois jeunes gens unis par des relations amicales et amoureuses, et représentatifs d’une certaine jeunesse sud-coréenne. Issu de milieu modeste et marqué par une enfance difficile (son père lui faisait subir de mauvais traitements), Jongsu s’est affirmé par des études de littérature qui n’ont débouché que sur des petits boulots, et son rêve de devenir un écrivain célèbre semble aussi illusoire que celui du protagoniste du Poirier sauvage de Nuri Bilge Ceylan. |
Peu d’informations sont données sur Haemi, jadis amoureuse de Jongsu qui avait éconduit ses ardeurs. Le jeune homme semble le regretter mais leurs retrouvailles sous le signe d’une aventure sexuelle et d’une aide domestique ne scellent que l’ébauche d’une nouvelle amitié. Quant à Ben, dont s’est entichée Haemi, il représente l’ascension des nouveaux riches et va attiser un double sentiment de la part de Jongsu, admiratif et envieux. Plus qu’un triangle à la Jules et Jim, le film va se focaliser sur les nouveaux liens de camaraderie et de rivalité entre les deux hommes, menant le récit sur le sentier du thriller poétique. Burning fait alors songer une double référence : d’un côté le cinéma de l’incommunicabilité auquel L’Avventura d’Antonioni avait ouvert la voie (et la disparition d’un des protagonistes amplifie cette filiation) ; de l’autre une série de films dépeignant les rapports troubles entre deux hommes, tels The Servant de Joseph Losey ou Plein soleil de René Clément, sur fond de rapports de classe et ou adoptant un MacGuffin policier. On admirera également le recours à une troublante métaphore du feu, un feu dont on a pu croire un temps qu’il constituait un leitmotiv de la sélection officielle, au vu de l’immolation de Vincent Lindon dans En guerre, du meurtre d’Edoardo Pesce dans Dogman, des autodafés de Fahrenheit 451, voire de l’incendie emblématique d’Au feu les pompiers ! de Milos Forman dans la section Cannes Classics. Mais cela est resté tout compte fait anecdotique. Pour ce qui est de Burning, on ne peut que le recommander même si le spectateur met un certain temps avant d’entrer dans le dispositif de Lee Chang-dong. Cette œuvre inconfortable mais magistrale ne semble pas avoir séduit le jury de Cate Blanchett qui a préféré établir un palmarès davantage consensuel.
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2h28 - Corée du Sud - Scénario : LEE Chang-dong. OH Jung-mi, d'après la nouvelle "Les Granges brûlées" de Haruki Murakami - Interprétation : YOO Ah-in, Steven YEUN, JEON Jong-seo. |