En guerre
de Stéphane Brizé
Sélection officielle
En compétition








« Nous ne nous désolidariserons pas »

Malgré de lourds sacrifices financiers de la part des salariés et un bénéfice record de leur entreprise, la direction de l’usine Perrin Industrie décide la fermeture totale du site. Accord bafoué, promesses non respectées : les 1100 salariés, emmenés par leur porte­parole Laurent Amédéo, refusent cette décision brutale et vont tout tenter pour sauver leur emploi… Trois ans après La Loi du marché, qui valut à Vincent Lindon le prix d’interprétation masculine à Cannes et le César du meilleur acteur, Stéphane Brizé récidive dans un cinéma frontalement social. On pouvait penser qu’il se répéterait en se cramponnant à une thématique qui fait déjà l’objet de nombreux débats socio-économiques et de reportages télévisés, mais aussi de films en tous genres. En guerre s’inscrit ainsi dans la lignée de documentaires comme Roger et moi de Michael Moore ou de fictions de référence telles Ressources humaines de Laurent Cantet ou Violence des échanges en milieu tempéré de Jean-Marc Moutout. Le film de Brizé parvient même à dépasser ces modèles. Loin d’une certaine rhétorique politicienne de gauche (ou d’extrême gauche), il témoigne d’une humanité sincère en faisant de Laurent l’archétype du syndicaliste engagé, intègre et jusqu’au-boutiste, tentant de convaincre les représentants patronaux (mais aussi son propre camp) du bienfondé de son action. Grève, blocage d’usine, occupation de locaux : Laurent et ses camarades ne demandent qu’à faire respecter un accord écrit et à être reçus par les véritables responsables d’une décision qu’ils estiment injuste. Le directeur général du groupe déclare ne pas avoir de marge de manœuvre face à la maison-mère allemande ? Les travailleurs en grève réclameront de négocier avec le PDG allemand, et demanderont à l’État de faire le nécessaire pour soutenir leur action collective. Loin du pamphlet manichéen, En guerre est d’une richesse d’écriture, permise par le travail effectué en amont par Brizé et son coscénariste Olivier Gorce : ils n’ont pas seulement rencontré des ouvriers et leurs représentants syndicaux mais aussi des cadres, des DRH, des juristes, des chefs d’entreprise, de façon à ne pas mettre en opposition des propos dogmatiques et réducteurs, même s’ils ont évacué nombre d’aspects techniques qui auraient alourdi le matériau.

Des points de vue solidement argumentés sont ainsi mis en exergue, ce qui n’empêche pas les auteurs de prendre clairement le parti du groupe de salariés dont le plan de licenciement signifie la mort sociale. Stéphane Brizé a ainsi déclaré dans le dossier de presse : « C’était un des enjeux fondamentaux du projet : montrer les mécanismes d’un système sans caricaturer les propos des différents protagonistes. Il y a un système économique qui est servi par des hommes et des femmes qui n’ont simplement pas les mêmes intérêts que ceux des salariés. Mais ce qui se dégage clairement de tout ce que nous avons vu, compris et analysé, c’est que les forces en présence ne sont pas équilibrées ». Loin du discours réducteur de certains médias, Brizé arrive à cerner les tenants et les aboutissants d’une situation conflictuelle. Et quand la violence éclate, le réalisateur et son coscénariste sont sans équivoque : elle est inacceptable mais comment en est-on arrivé là ? Outre le fait d’être un document passionnant sur les rapports de classe mais aussi la pluralité des mouvements syndicaux (Laurent voit d’un mauvais œil ceux qui ont baissé les bras et négocient le montant de la prime de départ), En guerre frappe aussi par sa mise en scène, refusant de céder au pathos et de réduire le film à son sujet, contrairement à la démarche d’une Eva Husson dans le calamiteux Les Filles du soleil : un tournage avec une, deux voire trois caméras a permis de scruter les nombreuses discussions de groupe, en respectant l’équilibre précaire entre précision du texte et illusion que ce que nous entendons est en train de se créer dans l’instant. Une musique percutante mais rare (signée Bernard Blessing) et une absence de moments digressifs (à l’exception de deux virées dans un pub et de brèves scènes de famille) permettent de se concentrer sur l’essentiel et de capter l’attention du spectateur jusqu’au dénouement poignant. Vincent Lindon est à nouveau époustouflant sans faire de l’ombre à ses partenaires, dont beaucoup sont des non-professionnels. Un film coup de poing dont on ne ressort pas indemne.

Gérard Crespo



 

 


1h52 - France - Scénario : Stéphane BRIZÉ, Olivier GORCE - Interprétation : Vincent LINDON, Mélanie ROVER, Jacques BORDERIE, David REY, Olivier LEMAIRE.

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