Plein soleil |
Un bateau en Italie
Plein soleil a été réalisé par René Clément au moment où la Nouvelle Vague prenait son envol. Celle-ci préconisant l'écriture relâchée et le dédain du scénario serré, le film a pu paraître à contre-courant. En dépit du souffle de jeunesse apporté par Alain Delon, Maurice Ronet et Marie Laforêt, l'œuvre fut accueillie avec estime mais sans louanges, celles-ci étant réservées aux Jeunes Turcs des Cahiers. Les laudateurs de Godard et Truffaut parlèrent, au mieux d' « un film agréable », et c'est encore avec condescendance que certains évoquent cette réussite majeure du cinéma français. Il faut dire que René Clément, réalisateur inégal, était considéré à l'époque comme un représentant d'un cinéma dépassé, symbolisé par les académiques Jeux interdits ou Gervaise, quand Monsieur Ripois tourné en 1954 dans les rues de Londres avec Gérard Philipe avait prouvé qu'il pouvait être aussi un auteur majeur. Plein soleil n'a rien à envier aux perles des polars américains de l'époque, ceux des Delmer Daves, Samuel Fuller et autres Nicholas Ray. C'est l'adaptation d'un thriller de Patricia Highsmith, qui inspirera également le médiocre Le Talentueux M. Ripley (Anthony Minghella, 1998). Tom (Alain Delon) est chargé par un riche industriel américain de ramener son fils Philippe (Maurice Ronet) à la maison. Tom retrouve son ancien camarade en Italie, menant une vie joyeuse avec son amie Marge Duval (Marie Laforêt) et n'ayant aucune envie de rentrer. Tom, estimant sa mission accomplie, en profite pour passer ses vacances auprès du jeune couple. Mais les choses se gâtent rapidement... Le sommet du film est une escapade foireuse en bateau, qui voit Tom harcelé par Philippe. Delon, torse nu et regard perçant, d'une beauté parfaite, joue à merveille la (fausse) innocence outragée, teneur de chandelle humilié chargé de manœuvrer le gouvernail quand Philippe et sa belle font l'amour dans la cabine. Exposé au soleil sur un radeau pour avoir commis une maladresse technique, il est l'objet du dédain de son (faux) ami et de la compassion de Marge. On songe aux rapports explosifs mais ambigus entre Dewaere et Bouchitey, arbitrés par Christine Pascal dans La Meilleure façon de marcher (Claude Miller, 1976), l'homosexualité des deux garçons n'étant que très implicitement suggérée dans le film de Clément. Plein soleil est aussi une réflexion pertinente sur le dédoublement de personnalité : Tom porte les habits de Philippe et imite sa voix et sa signature. |
Mais il a conscience de ses actes, ce qui ne sera pas le cas de Sissy Spacek ursupant l'identité de Shelley Duvall dans Trois femmes (Robert Altman, 1977). Il est aussi son propre Pygmalion, contrairement à Judy (Kim Novak), transfigurée en Madeleine par James Stewart dans Vertigo, tourné l'année précédente. Les beaux hasards n'ont pas lieu qu'au cinéma, et l'actrice hitchcockienne présentait elle-même ce film le même jour, dans la même sélection Cannes Classics, avant que Delon ne vienne en personne parler de Plein soleil... René Clément s'avère ici un virtuose de la mise en scène. Qu'il filme la foule dans les rues d'une station balnéaire, une virée nocturne en calèche, une bagarre mortelle en mer ou les répétitions d'un spectacle musical, son art révèle un sens du cadrage et du montage saisissants, loin de la réputation de simple artisan ou technicien auquel on a parfois voulu le réduire depuis son premier film, La Bataille du rail. Plein soleil est aussi l'une des premières productions hexagonales à s'inscrire délibérément dans le cadre d'un cofinancement entre deux pays, avec diversité des langues et sous-titrage de certaines séquences. La mise en abyme linguistique et nationale est ici d'autant plus frappante que Delon est censé incarner un Américain, tandis que l'Écossais Bill Kearns parle lui le français avec un fort accent. Ave Ninchi interprète une domestique italienne s'exprimant dans sa langue et Viviane Chantel une touriste belge draguée par deux Français. Une mention sera accordée à la géniale franco-roumaine Elvire Popesco, rejetant avec un dégoût un plat de poissons et commandant d'un ton autoritaire « spaghetti per tutti »... Plein soleil a été l'objet d'une restauration numérique par STUDIOCANAL et la Cinémathèque française avec le soutien du Fonds Culturel Franco-Américain, les travaux ayant été réalisés par l'Immagine Ritrovalta à la Cinémathèque de Bologne. Le travail restitue admirablement la splendide photo couleur de Henri Decae et la bande-son, dont la musique mélodieuse de Nino Rota, alors en pleine effervescence créatrice avec Fellini. Sa projection a eu lieu dans la salle Debussy du Palais des Festival de Cannes. Alain Delon a tenu à saluer la mémoire de René Clément, dont on fête le centenaire de la naissance. Gérard Crespo
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1h55 - France - 1960 - Scénario : René Clément, Paul Gégauf, d'après le roman ''Le Talentueux Monsieur Ripley'' de Patricia Highsmith - Interprétation : Alain DELON, Maurice RONET, Marie LAFORÊT, Billy KEAMS, Ave NINCHI, Viviane CHANTEL, Frank LATIMORE, Elvire POPESCO. |