Spartacus & Cassandra
de Ioanis Nuguet
Acid


Sortie en salle : 11 février 2015




« Parfois le paradis me dégoûte »

« À un an, je marchais... À trois ans, mon père était en prison… À quatre ans, je faisais la manche avec ma sœur… À sept ans, je suis arrivé en France… À neuf ans, j’ai rencontré Camille… À treize ans, on m’a fait quitter mon père ». En voix off, Spartacus, un pré-ado de quatorze ans, annonce la couleur. Avec sa sœur Cassandra, il a été recueilli par Camille, une jeune trapéziste de vingt et un ans, qui les a hébergés dans un cirque du « 93 ». C'est qu'ils ont dû abandonner leur bidonville suite à un incendie, et leurs parents sans domicile fixe sont dans l'incapacité d'assumer leur rôle. Le juge des enfants a décidé de placer Cassandra et Spartacus dans une famille d'accueil. Caméra à l'épaule, le réalisateur Ioanis Nuguet a suivi les enfants pendant plusieurs mois, filmant des passages clefs de leur existence précaire, des engueulades avec le père alcoolique aux échanges avec la mère, dépassée par les événements, en passant par le fiasco de l'intégration scolaire et le passage devant le juge. La scène avec ce dernier est d'ailleurs parmi les plus réussies du film, et n'est pas sans évoquer 10e chambre – Instants d'audience de Raymond Depardon, de par le réalisme des propos et situations. Un réalisme tempéré par des instants de grâce poétique, l'univers créatif du cirque dans lequel se meuvent les enfants étant une passerelle vers un autre monde. Et puis il y a la belle figure de Camille, sorte de fée des banlieues, protectrice et maternelle, mais aussi intransigeante dans ses exigences éducatives.

La jeune femme par son humanisme et sa bienveillance, mais aussi ses doutes et sautes d'humeur, irradie la plupart des séquences de ce beau documentaire. « Il y a une impression étrange, très forte qui se dégage à la vision de ce film. Celle d’être, non pas à la frontière du réel et de la fiction, mais au cœur de la tragédie et de la vivre dans ce qu’elle a d’universel. ». Ces propos de Gautier Labrusse, exploitant, éclairent à merveille la fascination qu'exerce Spartacus & Cassandra, dans la veine désormais fréquente du « documenteur ». Ni reportage, ni fiction, le film croise les deux démarches pour enfanter un bel objet de cinéma, tout en s'avérant un poignant récit sur la jeunesse, dans la lignée de Los Olvidados ou Sweet Sixteen. C'est tout à l'honneur de la section Acid de l'avoir sélectionné, au même titre que Cesta Ven, récit des déboires d'un jeune couple Rom (qui n'a hélas pas trouvé de distributeur en France). À cet égard, on ne peut que se réjouir de voir de plus en plus de projets de 7e art autour de la question des Roms et de leur exil, une thématique que seuls Emir Kusturica ou Tony Gatlif avaient réellement abordée frontalement. Et en ces temps de résurgence de racisme et de stigmatisation de communautés, la réussite artistique et la dignité de films tel Spartacus et Cassandra ne peut que nous donner espoir dans la capacité du cinéma à imposer une hauteur de point de vue.

Gérard Crespo

 

 


1h20 - France - Documentaire

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