Donbass |
« Cela concerne chacun d’entre nous » Sergei Loznitsa, né en Ukraine, s’était déjà penché sur la situation de cette république en adoptant un point vue critique vis-à-vis de Moscou. Maidan, sorti en 2014, était un documentaire sobre et incisif qui relatait les effets d’un rassemblement populaire réclamant un pouvoir central indépendant des autorités russes. Une femme douce, librement inspiré de Dostoïevski, n’abordait pas directement le problème mais se présentait comme un brûlot implicite contre le pouvoir de Poutine. Le premier intérêt de Donbass est de ne pas s’enfermer dans un seul genre, le matériau fictionnel étant enrobé d’une forte tonalité documentaire. Loznitsa a par ailleurs voulu adopter une narration à la fois dramatique et bouffonne. En ce sens, il rompt avec le minimalisme de son cinéma, qui avait pu dérouter avec les austères My Joy et Dans la brume. Il s’agit en fait ici de ce que l’on n’osera pas désigner comme un film à sketches : l’œuvre est constituée de 13 épisodes racontant chacun une histoire se déroulant entre 2014 et 2015 à Donbass. Dans cette région du nord de L’Ukraine occupée par des gangs divers, un conflit a toujours lieu entre l’armée ukrainienne, appuyée par des volontaires, et des groupuscules séparatistes soutenus par les forces de combat russes. Le réalisateur a voulu cerner le chaos qui en a résulté, insistant sur l’agressivité, le déclin et la désagrégation à la base des nouveaux rapports sociaux. « La nature humaine se révèle lorsque la société s’écroule, quand les lois ne s’appliquent plus, quand le sol s’ouvre sous nos pieds, quand on ne peut plus s’appuyer sur les institutions mais seulement sur sa force spirituelle (si l’on en est doté ou pas) pour résister au chaos », a déclaré le cinéaste dans les notes d’intention. |
Dès lors, la structure en épisodes va permettre de cerner la pluralité de comportements absurdes et déviants, d’un douanier accusant un journaliste allemand d’être un ambassadeur du fascisme à un bureaucrate confisquant la voiture d’un citoyen au nom d’un idéal patriotique, en passant par des habitants rémunérés pour jouer le rôle de victimes de dégradations pour un reportage télévisé. Si les situations malsaines et gênantes s’enchaînent pendant deux heures, le réalisateur a recours à l’humour grotesque non pas pour les tempérer mais pour en accentuer l’énormité, à l’image de cette scène de mariage qui évoque l’univers de Fellini mais est aussi dans le prolongement de la dernière partie d’Une femme douce. Culminant avec une séquence qui voit un malheureux prisonnier exhibé sur un trottoir comme un animal de foire, et manquant d’être lynché par une foule déchaînée, Donbass est un véritable coup de poing mais ne joue pas la carte de la nuance pas plus qu’il ne fait dans la dentelle ; et son aspect bordélique pourra irriter d’autant plus que les épisodes sont forcément inégaux. Ceci étant précisé, force est de reconnaître que Loznitsa déploie une verve incisive et fait preuve d’une réelle énergie dans sa volonté de dénoncer la corruption et les atteintes aux libertés individuelles. Le jury Un Certain Regard présidé par Benicio Del Toro ne s’y est pas trompé en lui décernant un inattendu mais audacieux prix de la mise en scène.
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2h01 - Allemagne, France, Ukraine, Pays-Bas, Roumanie - Scénario : Sergei LOZNITSA - Interprétation : Valeriu ANDRIUTA, Boris KAMORZIN, Sergei KOLESOV. |