Maidan |
« Notre révolution est anti-criminelle » Très souvent, la sélection officielle du Festival de Cannes accueille un documentaire ayant pour cadre un thème brûlant de l’actualité internationale. Au pire, cela donne Le Serment de Tobrouk de Bernard-Henri Levy, pensum nombriliste et manipulateur. Au mieux, nous avons ce Maidan, modèle de cinéma-vérité. Ceux qui attendent un reportage de type Envoyé spécial peuvent passer leur chemin. Maidan est avant tout du cinéma, bien que s’avérant aussi un brûlot humaniste et engagé, complètement acquis à la cause du peuple ukrainien. Cela était le minimum que l’on pouvait attendre de Sergei Loznitza, auteur du subtil Dans la brume. L'auteur a planté sa caméra sur la place de l’Indépendance, également appelée Maïdan, à Kiev. À l’exception de quelques plans autour des environs et notamment à l’entrée du Parlement, le cinéaste n’a pas quitté la place, lieu emblématique de la rébellion pacifique du peuple face au pouvoir de Viktor Ianoukovytch. Le film ne fait que montrer divers discours et faits emblématiques ayant impliqué les habitants au cours d’une période cruciale de l’histoire de leur nation, mais le cinéaste se refuse à toute voix off ou interview de protagonistes. Seuls quelques cartons explicatifs font part des événements marquants de l’automne et de l’hiver 2013-2014, Loznitsa n’ayant monté son film qu’au dernier moment, pour la présentation cannoise, compte tenu de l’évolution rapide du contexte politique et social à Kiev. On est plus proche ici de la démarche de Pourquoi nous combattons, documentaire de guerre de Frank Capra, mais sans la dimension de propagande. En fait, on serait presque tenté de rapprocher Maidan de l’approche esthétique d’un Frederick Wiseman, n’était la fibre militante que l’on sent malgré tout chez Loznitsa. |
Le film démarre au moment de la contestation vis-à-vis des autorités ukrainiennes qui ont refusé au dernier moment de ratifier un traité d’accord avec l’Union européenne, sous pression de Poutine et Moscou. Aussitôt, la mécanique conflictuelle s’emballe et les citoyens rassemblés sur la place manifestent leur volonté d’un pouvoir intègre, indépendant de la Russie, et respectueux des droits de l’homme. Le réalisateur semble filmer une ambiance bon enfant, presque festive, avec ces groupes musicaux, ces distributions de denrées et cet hymne national chanté, assimilant presque le mouvement social à une kermesse inoffensive. L’unité de lieu n’en devient que plus oppressante lorsque l’on apprend que le pouvoir en place oppose une fin de non-recevoir et en arrive même à durcir la législation, pour empêcher tout rassemblement jugé subversif. Les assauts meurtriers des forces de l’ordre, loin de dissoudre le mouvement, ne feront que souder le lien communautaire. Maidan, avec ses plans fixes, son sens du rythme, et son aptitude à cerner sans effets la dignité d’un peuple, est un bel objet de cinéma, tout autant qu’un témoignage frappant sur la volonté de promouvoir une démocratie. Le spectateur ayant peu de connaissances géopolitiques sur le contexte des événements ne sera ni perdu, ni influencé, tant Maidan frappe par sa sobriété et sa limpidité, sans didactisme ni emphase. Si l’on regrettera le manque de recul et un dénouement forcément provisoire, cela ne peut que nous inciter à encourager Loznitsa à entreprendre une suite à ce beau documentaire. Gérard Crespo
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2h - Ukraine - Documentaire |