Diamantino
de Gabriel Abrantes, Daniel Schmidt
Semaine de la Critique
Grand Prix Nespresso









L’opium du peuple

Ce premier long métrage coréalisé par deux jeunes réalisateurs américains débute en contant la chute d’une icône de football : Diamantino (le joli Carloto Cotta, interprète de Tabou de Miguel Gomès) est une star nationale, sur laquelle comptent des millions de supporters et surtout le pouvoir politique : à la veille de la finale d’une coupe du monde disputée contre la Suède, le meilleur joueur de l’équipe du Portugal n’a pas de droit à l’erreur. Paradoxe des champions : il sera tenu pour seul responsable d’une éventuelle défaite. Mais Diamantino fait des rêves étranges, voyant des chiots géants s’incruster sur le stade, et se montre préoccupé et fasciné lorsque des réfugiés s’approchent du yacht familial. Et le pire se réalise le lendemain : un penalty raté, une mise au ban du monde du football lorsque le Portugal est éliminé. Pour mieux l’enfoncer débarquent deux sœurs jumelles cyniques qui veulent le dépouiller de son patrimoine, un couple d’intrigantes qui le soupçonne de blanchiment d’argent et souhaite le piéger, et une ministre qui souhaite le cloner pour composer une équipe de foot nationale idéale… On pourrait dire que Diamantino est, avec Coup de tête de Jean-Jacques Annaud et Joue-là comme Beckham de Gurinder Chadha, l’un des rares films regardables sur le football, surpassant les documentaires Maradona par Kusturica et Zidane, un portrait du XXIe siècle, et surtout le calamiteux United Passions de Frédéric Auburtin. Il serait pourtant réducteur de cantonner le métrage à ce thème. Certes, les enjeux du nouvel opium du peuple sont clairement évoqués, mais les cinéastes ont le mérite de le dépasser pour proposer un récit foutraque et culotté, au carrefour de la pop culture et de l’avant-garde expérimental :

la narration greffe à cette proposition d’autres thèmes sociétaux, des limites de la génétique aux ravages de l’homophobie en passant par la montée des nationalismes et de l’extrême droite. Là encore, on est loin d’un « dossier de l’écran » et les réalisateurs se lancent dans un trip jubilatoire, qui n’est pas sans évoquer les univers de Jodorowsky (La Danza de la realidad), Greenaway (The Pillow Book), Araki (Nowhere), Seidl (Dog Days) ou Lanthimos (Canine). On reste subjugués par le surréalisme de plusieurs séquences, brouillant le confort narratif et visuel des spectateurs, d’un développement de seins inopiné à une fausse étreinte incestueuse, en passant par un bel effet de trompe-l’œil autour de l’androgynie, ces scènes se moulant avec aisance dans un synopsis de cinéma d’exploitation. Gabriel Abrantes a déclaré à propos de ce mélange des genres : « J’ai commencé à faire des films après avoir suivi les cours d’histoire du cinéma de Jim Hoberman (…) qui nous appris que Disney était un artiste radical et Eisenstein un artiste pop. Cela m’a inspiré : des réalisateurs qui font des films pour le plus grand nombre et le touchent, sans que cela les empêche d’être également investis, beaux, radicaux et révolutionnaires ». On pourra objecter que le film n’atteint pas la poésie subversive du fascinant Les Garçons sauvages de Bertrand Mandico ou ne rassemblera pas autant de spectateurs que les œuvres de Lynch : toujours est-il que Diamantino est un bel objet filmique, peut-être inabouti mais d’une belle énergie créatrice.

Gérard Crespo



 

 


1h32 - Portugal, France, Brésil - Scénario : Gabriel ABRANTES, Daniel SCHMIDT - Interprétation : Carloto COTTA, Cleo TAVARES, Anabela MOREIRA, Margarida MOREIRA, Carla MACIEL.

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