Cinq et la peau |
Adieu Philippines Un homme, Ivan, retourne à Manille, apparemment sans but précis. Au gré de son errance et de ses rencontres, l’écrivain déambule dans la mégapole fascinante à la recherche de son passé et du sens de son existence... Deuxième et dernier long métrage réalisé par Pierre Rissient, Cinq et la peau avait été découvert à Un Certain Regard 1982, avant de connaître une distribution limitée malgré son bon accueil critique. Invisible pendant des décennies, le film a fait l'objet d'une restauration numérique valorisée par une reprise en salle et une édition DVD & blu-ray, à l'initiative de Carlotta. Pierre Rissient lui-même devait présenter son film à l'occasion de Cannes Classics 2018 mais il est décédé peu de temps avant l'ouverture du Festival. C'est peu dire que le film est un ovni dans l'histoire du cinéma français, un bel objet poétique et incantatoire, quelque part entre Les Trois couronnes du matelot de Raoul Ruiz et India Song de Marguerite Duras. La tonalité autobiographique est évidente, puisque Rissient a séjourné plusieurs mois à Manille, où il avait assisté Lino Brocka, le réalisateur de Insiang et Jaguar, dont il avait contribué à faire connaître l'œuvre en Europe. Brocka est d'ailleurs explicitement cité dans le film, tout comme l'Américain Raoul Walsh, mort en 1980 (année du tournage de Cinq et la peau) ou Fritz Lang, dont il est rappelé que c'est aux Philippines qu'il avait tourné « son plus mauvais film ». Car des citations et des hommages, il y en a beaucoup dans cette œuvre singulière : liés au cinéma, mais aussi à la littérature et à la chanson, dans une belle mosaïque internationale qui va du jazz à l'art populaire philippin. |
Un peu comme chez Godard, sans le caractère abscons de l'auteur du Livre d'image. Ce qui ne signifie pas que Cinq et la peau est un film facile et limpide, loin de là. À la fois journal intime, essai artistique et documentaire sur la ville de Manille, le film refuse les artifices du romanesque, par un récit déstructuré qui n'est pas sans évoquer Hiroshima, mon amour, avec ici le recours systématique à la voix off : le narrateur (voix de Roger Blin) précise les pensées du personnage principal (interprété par Féodor Atkine), lui-même porte-parole du réalisateur : une belle mise en abîme avec pour leitmotivs narratifs et thématiques les rencontres amoureuses et charnelles (superbes scènes érotiques avec Eiko Matsuda, actrice de L'Empire des sens), le déracinement, la difficulté du processus créatif, et le double sentiment de fascination et d'incompréhension face à la ville refuge qui est beaucoup plus qu'un décor exotique. On pourrait recenser à l'infini les beautés de cette œuvre foisonnante, dont on trouve l'influence dans plusieurs métrages, de Nocturne indien d'Alain Corneau à De l'ombre il y a de Nathan Nicholovitch, en passant par Lost in Translation de Sofia Coppola. Les amateurs de cinéma à l'état pur et les amoureux des Philippines doivent se précipiter sur ce trésor redécouvert. Gérard Crespo
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1981 - 1h35 - France, Philippines - Scénario : Lucie ALBERTINI, Alain ARCHAMBAULT, Eugène GUILLEVIC, Pierre RISSIENT, d'après les poèmes de Fernando Pessoa - Interprétation : Féodor ATKINE, Eiko MATSUDA, Gloria DIAZ, Bembol ROCO, Phillip SALVADOR. |