L'Une chante, l'autre pas
de Agnès Varda
Sélection officielle
Cannes Classics
Cinéma de la Plage







« Ah que c’est bon d’être une femme. Ah que c’est beau d’être un ballon. »

Deux jeunes filles vivent à Paris en 1962. Pauline (dix-sept ans), lycéenne, rêve de quitter sa famille pour devenir chanteuse. Suzanne (vingt-deux ans) s’occupe de ses deux enfants et fait face aux drames du suicide de leur père. La vie les sépare ; chacune vit son combat de femme. Pauline est devenue chanteuse dans un groupe militant et itinérant après avoir vécu une union difficile en Iran. Suzanne est sortie de sa misère et travaille au Planning familial. Dix ans plus tard, elles se retrouvent au cours d’une manifestation féministe... L’Une chante, l’autre pas est un objet à part dans la filmographie d’Agnès Varda. Succès public à sa sortie (comparativement aux autres œuvres plus confidentielles de la cinéaste), défendu par une poignée de cinéphiles (dont Claude-Jean Philippe, qui le programma au Ciné-club d’Antenne 2), le film a longtemps été jugé mineur par la majorité des critiques et historiens. Il est vrai qu’il était déjà daté à sa sortie, par son esthétique baba cool et son féminisme démonstratif, loin de la splendeur poétique de Cléo de 5 à 7, l’un des films clefs de la Nouvelle Vague, ou de la construction sophistiquée du sublime Sans toit ni loi. L’écriture du scénario est maladroite et les dialogues sonnent souvent faux : c’est le cas des échanges entre Pauline et son père (Francis Lemaire), petit bourgeois étriqué, forcément réac et méprisant, qui lui reproche son indépendance d’esprit, tout en admettant qu’une femme qui n’obtient pas son bac est condamnée au mariage ou à la prostitution, ce qui revient au même aux yeux de sa fille. Les relations entre Pauline (devenue Pomme) et son amant iranien ne donnent guère plus dans la nuance, la passion amoureuse qui les lie débouchant sur un roman-photo qui oscille entre le premier et le second degré, le mauvais goût et le pamphlet militant, quelque part entre une parodie d’Angélique et le sultan et un brûlot de Benoîte Groult. La destinée de Suzanne, mi-Cosette, mi-mater dolorosa, aboutit à des séquences aussi édifiantes, du suicide de son compagnon, homme marié et photographe raté, au mariage avec un pédiatre « bien sous tous rapports », en passant par le calvaire du retour chez ses parents qui traitent leur petits-enfants de bâtards…

Et que dire de l’apparition de Gisèle Halimi dans son propre rôle, pour crédibiliser les retrouvailles des deux amies au procès de Bobigny ? Bref, ce n’est pas faire injure à Agnès Varda, vénérable institution du cinéma d’auteur français, d’admettre qu’elle a ici la main lourde. Et ce ne sont pas les séquences musicales, d’un kitsch redoutable, qui compensent le manichéisme et la naïveté ambiantes : les partitions du groupe féminin Les Orchidées sont dignes d’un robinet à musique, quand les paroles d’Agnès Varda herself témoignent d’une rare indigence, entre histoires d’ovules et de pilules et complaintes révolutionnaires fredonnées sur les quais d’Amsterdam… Et pourtant, malgré ses défauts, L’Une chante, l’autre pas reste un récit d’amitié attachant, tout comme un document sur une période (les années 60 et 70) qui a vu des avancées sociétales majeures pour la femme. Et le regard porté par Varda sur ses deux figures féminines est imprégné d’une réelle humanité, qui n’exclut ni le recours à l’humour (le personnage du « fils-père » qui accompagne un temps la troupe de chanteuses), ni l’émotion réelle, quand la réalisatrice consacre son dernier plan au visage de sa fille, Rosalie Varda, comme pour suggérer le combat intergénérationnel des luttes féministes. On retrouve aussi la griffe de la cinéaste dans ces passages où la caméra est plantée dans des coins reculés de l’Hexagone : la grâce de Visages villages et autres merveilles de « documenteurs » est alors perceptible au spectateur, qu’il soit familier ou non du cinéma de Varda. Enfin les deux comédiennes sont épatantes : Valérie Mairesse irradie par sa verve et l’intelligence de son jeu, quand la sobriété et l’élégance de Thérèse Liotard permettent d’éviter le pathos inhérent à son personnage. Au final, cette œuvre est loin d’être parfaite mais vaut malgré tout le détour.

Gérard Crespo



 

 


1977 - 2h - France - Scénario : Agnès VARDA - Interprétation : Thérèse LIOTARD, Valérie MAIRESSE, Robert DADIÈS, Mathieu DEMY, Francis LEMAIRE, Ali RAFFI, Rosalie VARDA.

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