BlacKkKlansman : J'ai infiltré le Ku Klux Klan |
Black is beautiful C’est le grand retour de Spike Lee. Révélé par Nola Darling n’en fait qu’à sa tête, Caméra d’or en 1986, le cinéaste s’était spécialisé dans un cinéma défendant la cause noire, du petit film indépendant (Jungle Fever) au biopic (Malcolm X), revisitant les codes du film intimiste, de la comédie ou du polar. Mais après la réussite de La 25ème heure (2002), son inspiration s’est tarie et la cote du cinéaste n’a cessé de décliner. Aussi, la jubilation suscitée par BlacKkKlansman constitue-t-elle une agréable surprise. Le film est adapté des mémoires de Ron Stallworth, un ancien officier de police noir qui dans les années 70 avait réussi à infiltrer la redoutable organisation du Ku Klux Klan, histoire rendue publique seulement en 2006. Stallworth a ici les traits de John David Washington (fils de Denzel Washington). En se faisant passer au téléphone pour un raciste ostensible répondant à une offre de recrutement, il parviendra à approcher le leader même du groupe, David Duke. C’est que Stallworth a fait équipe avec Flip Zimmerman (Adam Driver), policier blanc chargé de prendre le relais lorsqu’il s’agit de côtoyer les membres. Et là, Spike Lee se régale (et nous régale), en dépeignant une bande de dégénérés dont le fantasme est d’éradiquer la communauté noire en prônant le règne d’une nation exclusivement blanche. Avant de contacter le KKK, Stallworth a dû également espionner les défenseurs du Black Power, mouvance soutenue par une association d’étudiants dirigée par la dynamique Patrice, avec laquelle il va nouer une idylle. Les deux infiltrations vont être en lien et constituer le cœur du scénario. En dépit de son sujet grave et malheureusement encore d’actualité, BlacKkKlansman est traité en comédie, à l’instar de la démarche de Chaplin dans Le Dictateur, les quiproquos liés à l’infiltration de Stallworth (afro-américain) et Zimmerman (juif) dans une communauté raciste donnant lieu à des scènes savoureuses. Comédie donc, mais aussi buddy movie des plus brillants. |
L’humour teinté de dérision fait parfois songer à l’univers des Coen ou de Tarantino. Comme ce dernier, Spike Lee rend hommage à la blaxploitation des années 70 : référence à Pam Grier ou au polar Les Nuits de Harlem/Shaft (Gordon Parks, 1971), auquel le réalisateur emprunte l’esthétique. Alors qu’importent les défauts de l’œuvre, à commencer par un manichéisme outrancier, comme la séquence dans laquelle les membres de l’organisation visionnent Naissance d’une nation (D.W. Griffith, 1915), en se délectant de son ignominie raciste. On a du mal à envisager ces stupides créatures se plongeant dans les classiques de la culture cinématographique… Mais après tout, les films de Spike Lee n’ont jamais donné dans la nuance et ce sont ces excès assumés qui faisaient la singularité de ses métrages de la grande époque, dont Do the Right Thing (1989), axé sur les tensions raciales à Brooklyn. L’autre aspect du film qui peut poser problème est sa dernière séquence, qui voit un raccord tenant lieu de jonction avec les événements de Charlottesville (manifestation de l’extrême droite américaine en août 2017). Les images de débordement et de violence, et le discours honteux de Donald Trump, sont là pour rappeler que le KKK a repris du tonus. Sans doute cette fin plombe-t-elle le film en lui donnant la tonalité d’un documentaire de Michael Moore, celui de Fahrenheit 9/11 davantage que l’auteur de Roger et moi. Mais en même temps, cela est en cohérence avec l’évolution d’un récit qui a montré l’omniprésence des vieux démons à différentes périodes de l’Histoire américaine. On ne fera donc pas la fine bouche malgré le bienfondé de ces réserves, tant le dernier opus de Spike Lee est un bel objet de cinéma autant qu’un pamphlet salutaire.
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2h08 - États-Unis - Scénario : Spike LEE, Charlie WACHTEL, David RABINOWITZ, Kevin WILLMONT, d'après le livre de Ron Stallwort - Interprétation : John David WASHINGTON, Adam DRIVER, Topher GRACE, Ryan EGGOLD, Laura HARRIER, Robert John BURKE, Paul Walter HAUSER, Harry BELAFONTE, Ashlie ATKINSON. |