Petit paysan |
Le malheur est dans le pré Pierre, la trentaine, est éleveur de vaches laitières. Sa vie s’organise autour de sa ferme, sa sœur vétérinaire et ses parents dont il a repris l’exploitation. Alors que les premiers cas d’une épidémie se déclarent en France, Pierre découvre que l’une de ses bêtes est infectée. Il ne peut se résoudre à perdre ses vaches. Il n’a rien d’autre et ira jusqu’au bout pour les sauver… Autobiographique, le film l’est assurément : Hubert Charuel, diplômé de la Fémis, et dont c’est le premier long métrage, s’est inspiré du vécu de ses parents, des exploitants agricoles, aujourd’hui à la retraite, et dont la ferme se situe à Droyes, entre Reims et Nancy. Le tournage s’est d’ailleurs déroulé dans la demeure familiale, le casting mêlant des acteurs professionnels et des proches du cinéaste. Si l’entreprise parentale n’a jamais connu le drame qui se déroule sur l’écran, l’angoisse d’une telle éventualité a longtemps marqué l’enfance et l’adolescence du réalisateur, dont le scénario et la mise en scène tiennent ici lieu de véritable catharsis. Petit paysan mêle les genres avec bonheur, même si la présence des animaux et une méticulosité dans la reconstitution des rituels agricoles balisent dans un premier temps le film dans le cadre inévitable du semi-documentaire. Swann Arlaud, interprète du rôle de Pierre, a lui-même effectué un stage en milieu rural pour s’approprier la gestuelle de l’éleveur et maîtriser divers aspects techniques, comme la traite des vaches. Le scénario aborde avec un réel souci d’authenticité différentes problématiques, économiques, environnementales et sociologiques, liées au secteur primaire : ainsi la mécanisation n’est-elle pas seulement productiviste, la ferme robotisée du voisin étant censée optimiser le bien-être des animaux ; le déterminisme lié aux rencontres amoureuses (le personnage de la boulangère joué par India Hair) est évoqué avec humour ; le risque épidémique menace l’honneur et les revenus de toute une communauté. |
En somme, un Georges Rouquier (Farrebique) ou un Raymond Depardon (La Vie moderne) auraient pu être motivés par une telle approche, tant la paysannerie a irrigué leur œuvre et dopé leur inspiration. Aussi, le mérite d’Hubert Charuel est-il différent et d’autant plus manifeste que Petit paysan emprunte d’autres pistes, à commencer par celle du film onirique, le ton étant donné dès la séquence d’ouverture : des vaches présentes dans la maison donnent d’emblée au récit un aspect décalé et étrange, à l’antipode du réalisme. L’œuvre emprunte ensuite le sentier inattendu du polar, de par les agissements de Pierre, prêt à tout pour sauver son troupeau, quitte à tromper les autorités sanitaires et policières, en plus des êtres auxquels il tient le plus. Même si le film de Charuel fait écho à d’autres fictions de la trempe de Béliers (Prix Un Certain Regard 2015) ou Je suis un soldat de Laurent Larivière, Petit paysan est un bel objet de cinéma, original, et révélateur d’une démarche ambitieuse : « Il y avait cette idée de basculer du naturalisme à une veine plus thriller, de jouer avec les codes du genre. Le récit progresse beaucoup par les manœuvres de diversion de Pierre : pour sauver ses vaches, il est obligé d’avoir une vie sociale, de voir ses amis, et même de dîner avec la boulangère. Il gagne du temps, sans cesse… Au tournage, on a changé peu à peu les cadrages et les lumières : le film démarre dans une atmosphère solaire, et on bascule ensuite dans une lumière plus artificielle et industrielle » (notes du dossier de presse). Bien entouré de comédiens à l’aise dont Sara Giraudeau en sœur équivoque et Bouli Lanners en agriculteur illuminé, Swann Arlaud dégage une force dramatique qui confirme, après Les Anarchistes, Ni le ciel, ni la terre et Une vie, qu’il est l’un des acteurs les plus doués de sa génération.
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1h30 - France - Scénario : Hubert CHARUEL, Claude LE PAPE - Interprétation : Swann ARLAUD, Sara GIRAUDEAU, Bouli LANNERS, Isabelle CANDELIER, India HAIR, Valentin LESPINASSE. |