Kiss & Cry |
Le feu sous la glace Sarah, quinze ans, reprend le patin de haut niveau au club de Colmar, sans trop savoir si elle le fait pour elle ou sa mère. Elle retrouve la rivalité entre filles, la tyrannie de l’entraîneur, la violence de la compétition. Tandis que son corps est mis à l’épreuve de la glace, ses désirs adolescents la détournent de ses ambitions sportives… Chronique d’une adolescence tourmentée comme le cinéma en a tant offert, le film se distingue par son délicat dosage de fiction et de reportage. Lola Pinell et Chloé Mathieu avaient réalisé ensemble trois documentaires dont Boucle piqué, qui se déroulait déjà dans l’univers du patinage artistique, avec les mêmes personnes, dont la jeune Sarah et son entraîneur Xavier. Kiss & Cry est né du désir de prolonger l’expérience, en la frottant à un matériau de fiction. A l’exception de la mère, interprétée par Dinara Drourakova (Depuis qu’Otar est parti), les personnages ne sont pas incarnés par des gens du métier : ils sont campés par les véritables protagonistes de cette tranche de vie. Loin d’offrir un énième « documenteur », les réalisatrices parviennent à mettre en avant une délicieuse mise en abyme. Car Kiss & Cry ne mise pas sur la distanciation ou le jeu décalé de non-professionnels inexpérimentés : l’œuvre frappe au contraire par sa fraîcheur, la justesse de ton des acteurs(trices), et un réel équilibre entre un scénario dont l’écriture est moins minimaliste qu’elle n’en a l’air, une improvisation cadrée dans la lignée de Cassavetes ou Pialat, et un souci d’offrir un ancrage sociologique (la réussite par le sport de jeunes filles de condition modeste), sans toutefois opter pour le réalisme balourd. En témoignent les scènes d’entraînement et de compétition, dont le rythme aérien et chorégraphique tire le film sur le sentier de la féérie musicale. |
« Nous avons pris garde à ne pas confondre totalement leurs vies et le film. Même si beaucoup de situations décrites dans le film ont réellement eu lieu, elles n’ont pas été vécues par ceux qui les jouent. Nous avons donc dû installer des situations, des conditions, des enjeux, des émotions, des relations, retrouver une authenticité des événements et des rapports, et ensuite nous orchestrions les improvisations », précisent les cinéastes. La scène au cours de laquelle Sarah et ses copines se livrent à un jeu dangereux à l’occasion d’un échange de photos avec un garçon illustre le meilleur de leur démarche, et Kiss & Cry trouve alors la grâce d’un certain cinéma en liberté : on songe à la complicité entre Sandrine Bonnaire et Alexandra London dans À nos amours, aux facéties de Caroline Cartier et Danièle Croisy dans Du côté d’Orouët de Jacques Rozier, ou à la spontanéité des jeunes gens de Mes petites amoureuses de Jean Eustache. Certes, le film n’est peut-être pas du niveau de ces modèles, et n’atteint pas le sublime de Naissance des pieuvres de Céline Sciamma ou la qualité technique de L’Effrontée de Claude Miller, qui traitaient d’un sujet similaire. Sans doute le manque de moyens et les aléas du tournage ont-ils limité les ambitions. On n'en reste pas moins devant une première œuvre plus que prometteuse. En jeune sportive en proie au doute, Sarah Bramms est une révélation. Quant à Xavier Dias, il propose une pittoresque vision du coach oppressant, version burlesque et lunaire de l’emploi de J.K. Simmons dans Whiplash. Ces deux non-professionnels crèvent l’écran et mériteraient de poursuivre une carrière de cinéma, à l’instar des deux réalisatrices.
|
1h16 - France - Scénario : Chloé MATHIEU, Lila PINELL - Interprétation : Sarah BRAMMS, Xavier DIAS, Dinara DROUKAROVA. |