The Florida Project
de Sean Baker
Quinzaine des Réalisateurs









Les nouvelles petites canailles

Moonee a six ans et un sacré caractère. Lâchée en toute liberté dans un motel de la banlieue de Disney World, elle y fait les quatre cents coups avec sa petite bande de gamins insolents. Ses incartades ne semblent pas trop inquiéter Halley, sa très jeune mère. En situation précaire comme tous les habitants du motel, celle-ci est en effet trop concentrée sur des plans plus ou moins honnêtes pour assurer leur quotidien… Sean Baker avait été révélé en 2015 par Tangerine, tourné avec trois smartphones, qui nous emmenait avec grâce dans le Hollywood Boulevard des chauffeurs de taxis et des travestis. The Florida Project, dont les moyens sont plus confortables (sans atteindre toutefois la norme du budget hollywoodien), confirme la singularité de son approche des laissés-pour-compte de l’american way of life. Le thème n’est pas certes nouveau dans l’histoire du cinéma américain, depuis les courts métrages muets de Chaplin ou la série Les Petites canailles à l’oscarisé Moonlight de Barry Jenkins, en passant par Notre pain quotidien de King Vidor ou Panique à Needle Park de Jerry Schatzberg. Les récents American Horney ou Patty Cake$ ont un point commun avec The Florida Project : la volonté de dresser le portrait de jeunes femmes marginales mais voulant garder leur dignité, dans une nation qui peine à faire des cadeaux à ses déshérités. Mais au lyrisme d’Andrea Arnold et au sentimentalisme formaté de Geremy Jasper, Sean Baker préfère un style plus dépouillé (peu de musique, des décors limités aux murs criards du motel) et une absence de véritable trame narrative. À l’unité de temps de Tangerine succède l’unité de lieu (ou presque) de ce motel de seconde catégorie, ancien dortoir pour touristes de Disney World devenu le logement de la lower class américaine. On y trouve de nombreuses familles monoparentales, avec à leur tête des femmes ne baissant jamais la tête face à l’adversité.

Si Ashley est celle qui s’en sort le mieux grâce à son job à la cafétéria du coin, Halley passe ses journées à trouver de l’argent pour payer son loyer hebdomadaire, sous le regard à la fois bienveillant et ferme du manager (Willem Dafoe, que l’on a toujours plaisir à retrouver). Ce dernier est d’ailleurs le seul personnage masculin à attirer l’indulgence du cinéaste. Si le film tourne un peu en rond dans son premier quart d’heure, il distille très vite une atmosphère prenante. Les micro-péripéties concentrées sur les galères de Halley et le comportement pré-délinquant d’une bande de gosses espiègles sont traités sur un ton de comédie décalée, qui dévie progressivement sur la pente du drame social. Il y a du Dickens dans ces saynètes axées sur des quatre cents coups, un Dickens qui aurait fréquenté Queneau et John Waters : la petite Moonee, à l’instar de Zazie dans le métro, n’a pas sa langue dans la poche et adopte avec aisance un comportement trash, jurant comme un charretier et traitant de tous les noms les adultes qui la réprimandent. On regrettera juste le surjeu de Brooklynn Prince, inhérent à de nombreux child actors de l’histoire du cinéma : plus cabotine que Jennifer Jason Leigh, elle aurait gagné à être canalisée par son metteur en scène, tant ses vociférations surlignent le chaos ambiant. Par contre, trop rares sont les appritions de l’excentrique Sandy Kane, en vieille locataire loufoque, ou de Caleb Landry Jones (Antiviral), jeune acteur talentueux, ici sous-utilisé. Ces réserves de casting entravent peu la réussite de l’œuvre. D’un dynamisme contagieux et d’une audace dans son refus des concessions et des codes hollywoodiens, The Florida Project nous semble illustrer le meilleur d’un certain cinéma indépendant américain.

Gérard Crespo



 

 


1h55 - États-Unis - Scénario : Sean BAKER, Chris BEGOCH - Interprétation : Willem DAFOE, Caleb LANDRY JONES, Bria VINAITE, Macon BLAIR, Brooklyn PRINCE, Karren KARAHULIAN, Sandy KANE, Mela MURDER.

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