12 jours
de Raymond Depardon
Sélection officielle
Hors compétition

Séance spéciale








« De l’homme à l’homme vrai le chemin passe par le fou » (Michel Foucault)

Avant douze jours, les personnes hospitalisées en psychiatrie sans leur consentement sont présentées en audience ; d’un côté un juge, de l’autre un patient : entre eux naît un dialogue sur le sens du mot liberté et de la vie… Le dispositif de Raymond Depardon est le même que celui déployé dans Délits flagrants, 10e chambre - instants d’audience et, à un moindre degré, Faits divers : l’équipe du tournage est installée dans le bureau de l’administration judiciaire et filme, avec leur accord, la déposition des personnes concernées, ici internées à l'hôpital Vinatier de Lyon, ainsi que leurs échanges avec le juge. La singularité de 12 jours est de donner la parole à des individus soumis à des soins psychiatriques, loin des infractions au code de la route ou des délits de droit commun relatés dans les précédents films, encore que la santé mentale des protagonistes a pu aussi les confronter à de multiples déviances. Comme à son habitude, le cinéma de Depardon ne se contente pas d’être outil de documentation au service de la connaissance de l’appareil juridique français, même si 12 jours comporte une mine d’informations sur l’hospitalisation d’une personne contre son gré. Jadis, celle-ci reposait seulement sur un psychiatre. Les « aliénés » sont désormais des patients, qui ont droit à un regard extérieur. Depuis la loi de 2013, l’hôpital dispose de douze jours, à compter de l’admission du patient, pour saisir le juge des libertés et de la détention qui doit valider ou non le programme de soins. Pour permettre au malade de parler librement, son psychiatre n’est pas présent à l’audience. Le patient peut en outre faire appel de la décision du juge. Ce dernier n’exerce en rien une contre-expertise psychiatrique, et a seulement pour mission de vérifier que le dossier médical est complet et argumenté.

La force du film de Depardon est de ne pas porter de jugement condescendant, ni envers les malades, ni envers les juges, et de présenter une vision objective des faits. Dans ce but, trois caméras ont été installées dans la salle d’audience : l’une pour le magistrat, l’autre pour le patient, et la troisième pour les plans généraux. L’égale distance ainsi obtenue, et la récurrence de plans fixes qui en résulte, donnent au film une objectivité et une sérénité bienvenues. « Même si nos films peuvent laisser penser le contraire, nous ne sommes pas plus attirés par les institutions que d’autres ; notre moteur est notre curiosité, notre force est notre naïveté ; nous ne sommes spécialistes de rien, nous tentons simplement de rester à l’écoute, de restituer des moments, des paroles, des émotions », ont ainsi écrit Raymond Depardon et la productrice Claudine Nougaret dans une note d’intention. Cela n'empêche pas Depardon de se livrer, en filigrane, à une touchante réflexion sur la complexité de la santé mentale, les dix témoignages sélectionnés donnant une image terrifiante de la vulnérabilité sociale. De la salariée d’Orange ayant craqué suite à un sentiment de harcèlement à ce loup solitaire demandant des nouvelles de son père… qu’il a assassiné quelques années plus tôt, en passant par cette quadragénaire ne songeant qu’au suicide pour mettre fin à son sentiment d’isolement, les auteurs mettent implicitement en exergue la responsabilité de la société dans la rupture psychique des plus vulnérables. Et c’est là que Raymond Depardon se montre humaniste et moral, sans être moralisateur. Si une rétrospective de films était organisée sur le thème de la folie, 12 jours y aurait une place de choix, quelque part entre Vol au-dessus d’un nid de coucou et Shock Corridor.

Gérard Crespo


1h30 - France - Documentaire - Production : PALMERAIE ET DÉSERT, FRANCE 2 CINÉMA, RÉGION RHÔNE-ALPES.

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