"Pierre... tou nes pas le saul enfant"

A refuser le film de Leos Carax, on court le risque pris par les critiques de l'époque où Herman Melville, sortant de Moby Dick, publiait Pierre ou les ambiguïtés. Plus que fustigé par la critique, le roman dont Carax tire son troisième long métrage ainsi que les quatre lettres de son titre, fut un échec commercial terrible pour son auteur... encensé par la suite. C'est pourtant bien de refus qu'il s'agit. Le filmage n'est pas en cause ; on sait que Carax manie avec virtuosité sa caméra et certains plans resteront ancrés dans nos rétines (le pré-générique, une scène d'amour aussi incongrue que magnifique, un accrochage en moto et quelques plans-séquences ambitieux). L'argument est déjà plus discutable. Pierre (interprété par un Guillaume Depardieu dont le jeu, crédible au début, termine dans la caricature), vit avec sa mère Marie (Catherine jouant Deneuve et réciproquement) dans un luxueux château des bords de Seine.

Pierre est fiancé avec Lucie. Tout baigne... jusqu'au soir où Pierre va rencontrer cette étrange femme qui dit être sa demi-soeur. La quête de la vérité sur un passé fumeux devient alors obsessionnel chez Pierre, qui quittera mère et fiancée, luxe, calme et volupté, pour un parcours sordide et improbable. Plus Pierre flirte avec ce qu'il ressent comme la vérité, plus tout sonne faux. Jusqu'aux décors pourtant magnifiques de cette secte d'"akousmas" percussionnistes, justifiant certainement le budget gonflé de la production. L'esbroufe de la mise en scène n'arrive pas à combler la vacuité de sens du scénario. Les dialogues finissent par frôler le ridicule. Pierre a quitté sa mère qu'il appelait sa soeur, retrouvera son ex-future femme qu'il présentera comme sa cousine à sa nouvelle demi-sœur qu'il considère comme sa femme...

Le plus grave est que l'ennui gagne, et on se surprend même à sourire de voir Depardieu junior travesti en écrivain nihiliste à mèche rebelle et jambe boiteuse courant vers un destin attendu... Refuser ce dernier opus de Carax, n'empêchera pas d'attendre avec optimisme son prochain...

Jean Gouny

2h14 - récit : Herman Melville, Leos Carax, Lauren Sedofsky, Jean-Pol Fargeau - images : Eric Gautier - décor : Laurent Allaire - musique : Scott Walker - montage : Nelly Quettier - interprètes : Guillaume Depardieu, Katerina Golubeva, Catherine Deneuve, Delphine Chuillot, Petruta Catana, Laurent Lucas... Sortie : mai 99.