L'Humanité

de
Bruno Dumont
Sélection Officielle
Grand prix du jury - Prix d'interprétation féminine - Prix d'interprétation masculine

L'humanité mais pas l'unanimité

 

Pharaon De Winter est lieutenant de police à Bailleul, dans les Flandres. En tous cas, c'est ce que nous montre la voiture officielle qu'il conduit. Pharaon apparaît comme simple, naïf, benêt et à la fois meurtri par un passé douloureux. Pharaon aime Domino qui aime Joseph qui le lui rend bien. Pharaon souffre de voir en secret les corps des deux jeunes amants se faire jouir. Pharaon souffre des inhumanités retransmises par la télévision ou de la sordide enquête qui sert d'argument polar au film. En fait, Pharaon souffre de sympathie profonde... pas dans le sens commun du terme -il serait plutôt du genre agaçant ! mais dans le sens premier de "participation à la souffrance d'autrui", affinités éclectiques. On l'aura compris, Pharaon porte en lui la culpabilité universelle d'une nature humaine terrible et parfois monstrueuse. Alors qu'en grande majorité, le cinéma essaie de surprendre le spectateur avec des choses qu'il attend, celui de Bruno Dumont commence par renverser, bousculer, irriter et même agacer jusqu'au renoncement.

Pourtant, une fois accepté l'effort d'un cinéma où l'action est davantage chez le spectateur que dans le cadre, la récompense justifie les choix du réalisateur. Des acteurs non professionnels, qui jouent faux ou plutôt qui ne jouent pas, mais interprètent, avec toute l'altération et la dissonance que la peinture, la poésie et la musique utilisent pour représenter le réel. Une gestion du temps dans le découpage qui impose l'introspection, comme dans ce premier plan large fixe qui durera le temps qu'il faudra au personnage pour traverser le cadre... Et puis les corps. Le premier qui rencontre la terre dans un contact quasi sexuel ; le second, nu et inerte d'une petite fille violée, dont la violence nous paraît gratuite jusqu'à ce que son contrepoint justifie ce coup de poing : le corps de Domino, nu mais bien vivant, tout de chair et de poils, cadré comme L'Origine du monde de Courbet. Le corps de Pharaon, qu'il maltraite sur son vélo, comme un vomissement expiatoire de son existence.

La chair est toujours là, parcourue par les fourmis ou pénétrée par le sexe, lâchant sueur et larmes, odorante comme les dahlias que Pharaon cultive, et se posant pour finir comme début de l'humanité dans un baiser sacrificiel... Certains films féconds en apparence s'évaporent assez rapidement après projection. Celui-ci, qui souffre d'un accès un peu aride, développe grâce à sa force poétique, une riche et puissante décantation.

Jean Gouny

2h28 - scénario & dialogues : Bruno Dumont - images : Yves Cape - décor : Marc-Philippe Guerig - musique : Richard Cuvillier - montage : Guy Lecorne - interprètes : Séverine Caneele, Emmanuel Schotté... Sortie : septembre 99.

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