Broadway 39e rue de Tim Robbins Sélection Officielle |
En route vers la gloire |
Acteur fétiche de Robert Altman, Robbins-réalisateur s'inscrit dans une mouvance qui, de Bob Roberts à Dead man walking, aborde ici le problème de l'extrême droite américaine, là celui de la peine de mort, sans toutefois rompre avec son travail de comédien souvent employé par des metteurs en scène eux-mêmes "engagés" -citons notamment Jungle Fever de Spike Lee. Craddle Will Rock, son dernier film présenté en sélection officielle au Festival de Cannes, ne dément en rien cette tendance, tout en proposant une variation originale de la comédie musicale classique. Craddle Will Rock met en scène une troupe de théâtre new-yorkaise qui, en 1936, cherche à monter un spectacle musical sous la direction inspirée d'Orson Welles (déjà connu à l'époque pour une version jugée scandaleuse de Macbeth). Nous sommes en pleine paranoïa anti-communiste et le comité des activités anti-américaines s'acharne sur la direction des théâtres subventionnés, soupçonnés de sympathies marxistes. Or, l'opéra écrit par Marc Blitzstein (Hank Azaria) traite justement de l'éveil du syndicalisme au sein d'une usine. Telle est la ligne dramatique que le scénario original de Tim Robbins applique à un récit au sein duquel s'entrecroisent de nombreux personnages, et non des moindres, puisqu'on reconnaîtra au passage -outre le grand Orson- Nelson Rockefeller, Diego Rivera et Frida Kahlo. |
Toute la réussite du film tient dans cet aller et retour permanent entre restitution d'un contexte politique et social et création de personnages tous remarquablement interprétés (mention spéciale pour Bill Murray en ventriloque parano, Susan Sarandon en égérie de Mussolini et surtout Angus Macfayden en double confondant d'Orson Welles). Il est à noter que le propos de Robbins éclaire sous un jour nouveau une période assez mal connue de la lutte anti-communiste, qu'on a souvent tendance à associer aux années 50 et au maccarthysme. Or, le climat évoqué dans le film semble désigner une origine plus ancienne -et réellement plus archaïque- à cette rage qui pousse certains à passer du simple soupçon à la délation puis au délire de persécution. Du reste, l'ambiguïté de la politique sociale de Roosevelt est ici clairement montrée du doigt, de même que les rapports troubles et méconnus que l'Amérique capitaliste a entretenus avec l'Italie fasciste. Certes on pourra reprocher à Robbins de privilégier le divertissement au détriment du "sérieux" que peut mériter un tel propos. Mais l'intérêt du film n'est-il pas précisément dans l'alternance entre les scènes de comédie et les étapes du "work in progress" que constitue la naissance et l'écriture du projet de Blitzstein ?
|
Bob Roberts adoptait le ton grinçant et voltairien de la satire, Dead man walking celui plus solennel de la dénonciation : Craddle Will Rock trouve un moyen terme séduisant dans l'utilisation inhabituelle des codes du musical. A cet égard, le final constitue un véritable morceau de bravoure, qui permet d'inscrire le film dans la grande lignée du cinéma progressiste américain, celui, entre autres d'Arthur Penn, de Sydney Pollack ou d'Alan Pakula. Où l'on constate -une nouvelle fois- qu'il est donc bien possible de divertir et d'édifier simultanément. Daniel Rocchia
|
2h13 - Titre original : Cradle Will Rock - scénario
& dialogues : Tim Robbins - images : Jean-Yves Escoffier - décor
: Richard Hoover - musique : David Robbins - montage : Géraldine
Peroni - interprètes : Hank Azaria, Ruben Blades, Joan Cusack, John
Cusak, Cary Elwes, Philip Baker Hall, Cherry Jones, Angus Macfadyen, Bill
Murray, Vanessa Redgrave, Susan Sarandon, John Turturro, Emily Watson. |