Climax
de Gaspar Noé
Quinzaine des Réalisateurs
Art Cinema Award







« Vivre est un plaisir fugitif »

C’est peu dire que les œuvres de Gaspar Noé n’ont jamais suscité de consensus, et en particulier dans notre rédaction : pour Nicolas Fine, Seul contre tous, qu’il défendait, était « difficile à supporter, impossible à effacer » ; Marie-Jo Astic détestait Irréversible, « non-événement » à ses yeux, et estimait qu’Enter the void constituait « presque trois heures de fautes de goût », quand Maxime Antoine se montrait partagé devant Love, admiratif devant l’« indéniable dimension plastique qui devrait forcer le respect du plus obstiné des détracteurs », mais regrettant « certains défauts un peu trop immatures ». Climax ne réduira pas le fossé entre les thuriféraires du cinéaste et ceux qui ne supportent pas ses films. Mais il s’agit à notre sens de son œuvre la plus fascinante (on n’ose écrire « la plus aboutie », tant le concept de perfection semble à l’opposé de l’objectif de Noé). D’une concision appréciable, le métrage propose de suivre un petit groupe de danseurs qui ont passé un casting en 1996 pour un spectacle qui devrait se jouer aux États-Unis. Un échantillon représentatif de la tranche d’âge 20-30 ans est alors filmé lors de plusieurs plans fixes, qui ne sont pas sans évoquer le confessionnal d’émissions de téléréalité : « black, blanc, beur », le futur groupe anticipe l’idéal d’une certaine France qui s’identifiera deux ans plus tard à son équipe de football, victorieuse de la coupe du monde. On trouve aussi une parité hommes/femmes, et une diversité de statuts d’état civil et d’orientations sexuelles. Cette micro-communauté professe devant la caméra des propos d’une banalité insondable, mais semble faire preuve d’une tolérance louable, conforme à un politiquement correct attendu. À l’issue des répétitions, les danseurs organisent une fête dans un hangar, avec alcool et cannabis à gogo, mais dans une ambiance bon enfant.

Quand ils découvrent que l’un des participants a glissé des gouttes de substance illicite dans la sangria, la fiesta dégénère et vire au cauchemar… La fascination exercée par Climax ne tient pas vraiment à son scénario, mélange de faux documentaire et de parodie de série B d’horreur, et délivrant implicitement un message politique pessimiste, tant la dislocation du lien social qui devait unir les protagonistes est évidente. « J’ai toujours été fasciné par les situations où le chaos et l’anarchie se répandent soudainement, que ce soit lors des bagarres de rues, des séances de chamanisme avec psychotropes, ou des fêtes dans lesquelles les gens trop alcoolisés perdent tout contrôle en groupe », précise Gaspar Noé. Mais l’essentiel est dans le traitement choisi à partir de cette trame. Le cinéaste offre l’un de ces trips psychédéliques dont il est spécialiste avec un brio dans le découpage, le montage et le cadrage, qui culmine dans les séquences de transe et des scènes dévoilant une violence inattendue. Pourtant, Noé ne tombe jamais dans le grotesque (ce que n’avait pas su éviter Darren Aronofsky avec Mother !), et en dépit de l’excès des situations, son délire filmique est jouissif. Le caractère insolite de l’angle des prises de vue, l’utilisation sublime de la musique d’époque (Giorgio Moroder, Daft Punk, Aphex Twin…) et l’aptitude à créer une ambiance de malaise rangent Climax au rayon des grands films combinant sobriété et démesure, de Salò ou les 120 journées de Sodome de Pier Paolo Pasolini à Funny Games de Michael Haneke. Climax est donc l’œuvre à la fois la plus accessible, la plus radicale et la plus excitante d’un auteur qui fait désormais partie des grands marginaux du cinéma français.

Gérard Crespo



 

 


1h35 - France - Scénario : Gaspar NOÉ - Interprétation : Sofia BOUTELLA, Adrien SISSOKO, Alaia ALSFIR, Romain GUILLERMIC, Shouheila YACOUB, Kiddy SMILE.

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