Tout sur ma mère
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Femmes au bord de la crise de mère Il est suffisamment rare de voir des mélodrames réussis de bout en bout pour ne pas le proclamer haut et fort. Surtout quand le réalisateur fait montre d'une telle authenticité à travers un style affranchi d'un certain maniérisme passé. Tout sur ma mère, c'est tout sur les femmes qu'Almodovar comprend, admire et peint si justement. Toutes les femmes : les amantes, les épouses, les génitrices, infirmières ou religieuses, actrices ou prostituées, homosexuelles ou transsexuelles, héroïnes de théâtre ou accros à l'héroïne, jusqu'à inclure l'homme dans sa version travestie, sorte de brouillon de femme ! Manuela (Cecilia Roth sobre et émouvante) travaille dans un centre de transplantations d'organes à Madrid. Elle vit seule avec son fils Esteban, qui, le jour de ses dix-huit ans, meurt renversé par une voiture. Au moment où Esteban pensait enfin entendre tout sur son père, il disparaît devant les yeux de Huma, actrice homosexuelle (magistralement interprétée par Marisa Paredes) dont le rôle dans Un tramway nommé désir est chargé de souvenirs chez Manuela. Meurtrie et désespérée, celle-ci quitte Madrid pour Barcelone, décidée à retrouver l'homme qu'elle a aimé, père de son fils, dont le nom était aussi Esteban avant qu'il ne devienne Lola aux gros lolos... La galerie de portraits est profondément émouvante, riche et fine à la fois, nous faisant passer des rires (désopilant monologue d'Agrado, le travesti au corps d'artifices et au cœur d'artichaut) aux larmes (la mort de Sœur Rosa, séropositive et enceinte par l'opération d'un esprit pas franchement sain, qui mettra au monde l'Esteban III). |
Les hommes sont ici peu présents et semblent daltoniens des sentiments. Le père de Rosa est carrément aveugle au monde qui l'entoure ; si Mario est attiré par Agrado, il semble que ce soit pour la curiosité d'une expérience homosexuelle, plus facile à assumer avec un homme muni de deux gros seins... Quant aux Esteban, le premier a fait fuir Manuela de Barcelone, avec le deuxième dans le ventre. La mort du deuxième a fait de nouveau fuir de Madrid sa mère pour retrouver la trace de son père, alors que le troisième fera refaire ces deux traversées, tunnels obscurs par le passé, ouvertures pleines d'espoir pour le futur. Le treizième long métrage d'Almodovar est un hommage particulier aux femmes actrices ayant joué des actrices à l'écran, telles les Gena Rowlands de Opening Night, Bette Davis de All about Eve ou Romy Schneider de L'Important c'est d'aimer, citées dans la dédicace finale du film. Il est surtout un film porteur d'un humanisme universel, servi par une mise en scène particulièrement réussie. Alors que le plaisir immédiat du spectateur est plus honoré que dans L'Humanité de Bruno Dumont, le palmarès du Jury de Cannes a prouvé que le septième art pouvait faire cohabiter deux types de cinéma d'auteur servant la même cause : celui qui provoque la réflexion par le plaisir et celui qui engendre le plaisir par la réflexion. Jean Gouny
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1999 - 1h41 - Espagne, France - Scénario : Pedro ALMODOVAR - Interprétation : Cecilia ROTH, Marisa PAREDES, Penélope CRUZ, Rosa Maria SARDA, Fernando FERNAN GOMEZ, Candela PEÑA, Toni CANTO, Eloy AZORIN. |