Rodin
de Jacques Doillon
Sélection officielle
En compétition









« Avant 40 ans, je n’étais personne. »

À Paris, en 1880, Auguste Rodin reçoit enfin à 40 ans sa première commande de l’État : ce sera La Porte de L’Enfer composée de figurines dont certaines feront sa gloire comme Le Baiser et Le Penseur. Il partage sa vie avec Rose, sa compagne de toujours, lorsqu’il rencontre la jeune Camille Claudel, son élève la plus douée qui devient vite son assistante, puis sa maîtresse : dix ans de passion, mais également d’admiration commune et de complicité. Après leur rupture, Rodin poursuit son travail avec acharnement. Il fait face au refus et à l’enthousiasme que la sensualité de sa sculpture provoque et signe avec son Balzac, rejeté de son vivant, le point de départ incontesté de la sculpture moderne… Après avoir refusé un documentaire sur le sculpteur, Jacques Doillon a finalisé en fiction une commande du ministère de la Culture et du Musée Rodin, sans doute à l’origine du malentendu qui a suscité l’accueil glacial du film au Festival de Cannes. D’aucuns y ont décelé un « cinéma de vieux », pour reprendre l’expression peu élégante d’un journaliste de langue hispanique, en colère après la projection de presse. L’œuvre n’est pourtant en rien académique, et il faut remonter au Van Gogh de Pialat pour avoir le souvenir d’une telle incompréhension face au travail d’un grand cinéaste se frottant à la vie d’un artiste réputé. Certes, Rodin n’échappe pas aux passages obligés du biopic, de la reconnaissance tardive du sculpteur à sa relation professionnelle et affective avec Camille Claudel. Sur cet aspect, le film snobe le romanesque lyrique du métrage de Bruno Nuytten (avec Isabelle Adjani), qui avait relaté la destinée tragique de la sculptrice : Doillon ne souhaite pas, on s’en doutait, se mouler dans les conventions de la « qualité française », reconstitution d’époque, décors, costumes et éclairages à l’appui, et opte pour une approche plus distanciée. En y regardant de près, le cinéaste est fidèle à tout un pan de sa filmographie, lorsqu’il peignait la violence des affrontements conjugaux et sentimentaux. À cet égard, les tensions au cœur du trio formé par Rodin, Camille Claudel et Rose, la compagne du sculpteur, font écho aux échanges houleux entre les protagonistes de ses films antérieurs :

Jane Birkin et Maruschka Detmers dans La Pirate, Michel Piccoli, Sabine Azéma et Sandrine Bonnaire dans La Puritaine, Isabelle Huppert et Béatrice Dalle dans La Vengeance d’une femme, ou Pascal Greggory, Julie Depardieu et Louis Garrel dans Le Mariage à trois. Doillon greffe donc la biographie du sculpteur à son univers pour proposer une œuvre aride, à la fois austère et sensuelle, le toucher, le vivant et la chair étant au centre du film. « Oui, c’est la vie qui m’importe et qui l’emporte. C’est la raison pour laquelle j’ai besoin d’être surpris sur un tournage pour que la vie jaillisse. Je n’aime donc pas beaucoup les repérages, et quand j’arrive sur le plateau, je n’ai pas d’idées préconçues sur ce que je vais faire. On a la scène, les dialogues, mais la manière dont les comédiens vont bouger dans la mise en place que j’improvise, ça, je ne veux pas le savoir à l’avance, sinon c’est de l’exécution, la façon dont on va s’amuser à chercher la bonne musique et la crédibilité de la scène, c’est comme chercher la forme dans la glaise. Même chose pour l’écriture : je ne sais pas où je vais, j’avance de scène en scène sans plan préalable. Il faut également une vie de l’écriture, qu’elle trouve son chemin, et les personnages aussi ». Ces propos du cinéaste sont révélateurs de la précision de sa démarche, équilibre entre une préparation minutieuse et une relative souplesse, proche de l’improvisation, au gré de l’inspiration sur le tournage. Les acteurs sont au diapason du dispositif, à commencer par Vincent Lindon, qui trouve après La Loi du marché un autre grand rôle de maturité, dans une performance dépouillée de tout artifice, à l’instar de Richard Anconina dans Le Petit criminel. À ses côtés, Izïa Higelin, César du meilleur espoir féminin pour Mauvaise fille, compose une Camille Claudel ambigüe et nuancée. Séverine Caneele, ex-lauréate du prix d’interprétation pour L’Humanité, dévoile un beau tempérament dramatique, loin du jeu non professionnel qui lui fut naguère reproché.

Gérard Crespo


1h59 - France - Scénario : Jacques DOILLON - Interprétation : Vincent LINDON, Izïa HIGELIN, Séverine CANEELE, Magdalina MALINA.

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