Le Rire de Madame Lin |
Place aux jeunes Dans un village du Shandong, une vieille paysanne fait une chute. Immédiatement, ses enfants en profitent pour la déclarer inapte et l’inscrivent malgré elle dans un hospice. En attendant qu’une place se libère, la doyenne séjourne chez chacun de ses enfants, alors qu’aucun ne veut la prendre en charge. Elle voyage ainsi de famille en famille, tandis que son état de santé et ses rapports familiaux se dégradent…Le rire en question est la manifestation d’un trouble psychique dont souffre la vieille dame, conséquence d’une mauvaise circulation sanguine au niveau du cerveau, et qui peut être la séquelle d’une embolie. Premier long métrage d’un cinéaste formé à l’Académie Centrale d’Art Dramatique de Pékin, Le Rire de Madame Lin a d’abord une connotation autobiographique, puisque le personnage central est inspiré de la propre grand-mère de Zhang Thao : il fut choqué du traitement que ses parents infligèrent à une aïeule jugée encombrante. Le cas n’est semble-t-il pas isolé dans la Chine rurale actuelle, et le réalisateur s’est livré à une enquête sur ce sujet, dont la synthèse constitue la trame scénaristique du film. Au-delà du drame personnel et de l’étude de mœurs saisissante, Le Rire de Madame Lin se veut une dénonciation sans concessions des dérives de l’actuelle société chinoise, passée de la dictature maoïste à une économie de marché impitoyable avec ses laissés-pour-compte. Si les enfants de Madame Lin ont des circonstances atténuantes (la précarité d’emploi, les difficultés financières des petits commerçants et paysans), le cinéaste n’en regrette pas moins l’individualisme ambiant qui s’est substitué aux solidarités communautaires et familiales. |
Malgré des gestes d’attention de la part de deux de ses petites-filles, Madame Lin n’a plus sa place dans cette parentèle mais n’en continue pas moins de prier pour le salut de ses enfants, fidèle à ses valeurs et principes. Loin de jouer la carte du mélodrame (démarche d’un Jiang Zhangke dans l’excellent Au-delà des montagnes), Zhang Tao opte pour le style documentaire, maniant l’épure et l’art du plan fixe avec une rigueur étonnante pour un premier film. « Mon travail de mise en scène a consisté à faire voir et ressentir cette réalité. J’ai voulu capter le parler si particulier de ces paysans, le chant du coq le matin, les percussions du tambour, le grésillement des radios, et aussi retrouver la lumière brumeuse de l’hiver de la province de Shandong, l’égouttement de l’eau le long des murs, et la démarche d’une femme qui a travaillé la terre toute sa vie ». Ces propos confiés dans les notes d’intention éclairent sa démarche, qui n’est pas sans évoquer l’ascèse d’un Bresson, même si le cinéaste revendique l’influence des opéras populaires qui incarnent l’essence de la culture rurale, véhiculant les idéaux de bonté et fidélité. En même temps, le film fait écho à ces œuvres qui ont abordé avec tact le thème de la vieillesse, de Place aux jeunes de Leo McCarey à La Ballade de Narayama de Shôhei Imamura, en passant par La Vieille dame indigne de René Allio. Et l’on pourra aussi déceler des ressemblances entre Madame Lin et deux autres personnages de vieilles femmes qui ont marqué le cinéma en 2017 : Mama Coco dans le dernier Disney Pixar, et Mme Claudine dans le documentaire Sans adieu de Christophe Agou. Coproduction franco-chinoise, Le Rire de Madame Lin est une œuvre aboutie qui mérite de rencontrer un public.
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1h22 - Chine, Hong Kong, France - Scénario : ZHANG Tao - Interprétation : YU Fengyuan, LI Fengyun, CHEN Shilan. |