In the Fade
Aus Dem Nichts
de Fatih Akin
Sélection officielle
En compétition

Prix d'interprétation féminine








Les enragés

La vie de Katja s’effondre lorsque son mari et son fils meurent dans un attentat à la bombe. Après le deuil et l’injustice, viendra le temps de la vengeance.
Fatih Akin secoue et émeut avec ce film efficace mêlant polar, film de procès, étude de mœurs et œuvre politique, comme si les thématiques et les genres qu’il avait abordés jusqu’à présent étaient l’objet d’une synthèse. Ses admirateurs retrouveront d’ailleurs des constantes de son cinéma, de son attachement à la communauté turque (dont il est issu) à l’utilisation de la mer comme symbole de mort. Le projet du cinéaste était d’aborder les assassinats commis en Allemagne contre des personnes d’origine étrangère, notamment turque, par des membres du groupuscule néo-nazi NSU (Clandestinité Nationale-Socialiste). Un procès toujours en cours a particulièrement inspiré le récit. « Mon film s’inspire de faits réels, et je tenais à ce que l’on croit à ce qui est montré sur l’écran. Comme tout le monde, je sens s’opérer un changement dans toute l’Europe, voire dans le monde entier. La mondialisation est un défi, qui effraie beaucoup de gens, une peur, elle-même mondialisée, qui conduit au repli sur soi et au rejet de l’autre. Il se trouve qu’en Allemagne cette peur est déjà apparue dans les années 20 », a déclaré Fatih Akin. L’auteur de Head-on et De l’autre côté, citoyen et artiste germano-turc, ne se contente bien sûr pas de déployer un « dossier de l’écran », même si des passages convenus (l’affrontement des avocats au cours du procès) font songer à un certain cinéma démonstratif, tel Music Box de Costa-Gavras. In the Fade montre avec subtilité comment la suspicion envers les victimes reflète des préjugés sociaux et ethniques, sur fond de trafic de drogue et agissements divers de mafias communautaires.

L’intelligence du scénario est d’ailleurs d’avoir fait du personnage du mari un ancien délinquant turc, certes réintégré, mais dont l’activité cache peut-être des zones d’ombre. Quant à Katja, l’épouse et mère effondrée, le cinéaste lui a donné les traits d’une « blonde aryenne aux yeux bleus » selon ses propres termes, comme pour exorciser certains démons et prendre acte du brassage culturel qui caractérise désormais la plupart des pays. Le récit, co-écrit avec Hark Bohm, ex-collaborateur de Fassbinder, est découpé en trois chapitres qui permettent de suivre le cheminement de Katja, du bonheur insouciant au désir de vengeance, avec un dernier volet intense, oscillant entre le thriller et la tragédie grecque. Le film séduit par son écriture fluide, sa mise en scène classique et sobre sans être académique, même si Akin se permet quelques coquetteries stylistiques, comme cette pluie permanente, rappelant l’atmosphère du film noir aussi bien que certains polars coréens (The Murderer de Na Hong-ji). L’utilisation de la musique du groupe de rock américain Queen of the Stone, loin d’être une caution de modernité, donne une dimension lyrique que n’aurait pas désavouée Bernard Herrmann. Il faut enfin souligner le jeu impressionnant de Diane Kruger, dans un rôle qui aurait pu conduire à bien des excès, et qui offre ici sa meilleure interprétation. Au final, In the Fade est l’un des meilleurs films de son auteur et devrait élargir son audience.

Gérard Crespo


1h40 - Allemagne, France - Scénario : Fatih AKIN, Hark NOHM - Interprétation : Diane KRUGER, Denis MOSCHITTO, Numan ACAR, Ullrich TUKUR.

ACCUEIL

RETOUR A LA LISTE DES FILMS